Page:Duhem - Le Système du Monde, tome II.djvu/487

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
481
LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

association, s’unir à l’élément contraire. La terre, par exemple, qui est sèche et froide, peut s’unir à l’eau grâce au froid qui les apparente ; puis, par l’intermédiaire de l’eau, elle se joint à l’air ; l’eau se trouve ainsi placée comme un moyen entre deux extrêmes ; elle atteint, par l’une ou par l’autre de ses qualités, chacun des deux éléments qui lui sont voisins, la terre par le froid, l’air par l’humidité, comme si elle leur tendait les deux mains… Entre les divers éléments, s’établit ainsi un certain accord ; ils se rangent dans un certain ordre ; par eux, se forme une sorte de cercle, un chœur harmonieux ».

Ces idées sur l’union des éléments, issues de la Physique péripatéticienne, sont appelées à une fortune durable en la Chimie du Moyen Âge. Elles ont une évidente parenté avec celles que le traité De natura Mundi, faussement attribué à Ocellus Lucanus, que le Commentaire au Timée, composé par Chalcidius, ont exposées[1] touchant la transmutation des éléments les uns dans les autres. Par rapport à ces dernières, toutefois, elles présentent une différence digne d’être notée. Le faux Ocellus et Chalcidius, directement inspirés par Aristote, regardent l’existence d’une qualité commune à deux éléments, d’un symbole, comme la condition nécessaire pour que chacun de ces deux éléments puisse se transformer en l’autre d’une manière immédiate. Dans cette qualité commune, Saint Basile voit un lien par lequel ces deux éléments se peuvent unir entre eux pour former un mixte. Gardons-nous d’accueillir par un sarcasme le caractère quelque peu puéril de cette pensée ; bon nombre de chimistes contemporains, lorsqu’ils parlent d’un élément bivalent dont les deux valences servent à réunir deux groupes univalents, ne s’expriment-ils pas en termes bien voisins de ceux qu’a employés Saint Basile pour nous montrer l’air et la terre unis entre eux par l’intermédiaire de l’eau ?

Les considérations de Saint Basile sur les combinaisons que deux éléments peuvent contracter, grâce au trait d’union que forme une commune qualité, paraissent avoir joui d’une grande vogue ; non seulement nous les verrons reproduites par Némésius, évêque d’Emèse, mais encore nous les retrouverons, au ve siècle, dans certains écrits païens, en particulier dans le Commentaire au Songe de Scipion composé par Macrobe.

« Ces éléments si divers, dit Macrobe[2], l’Ouvrier divin les a

  1. Vide supra, t. II, pp. 421-425.
  2. Ambrosii Theodosii Macrobii Commentariorum in Somnium Scipionis liber primus, Cap. VI (Macrobius Franciscus Eyssenhardl recognovit, pp. 489-490. Lipsiæ, 1868).