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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome II.djvu/61

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LES DIMENSIONS DU MONDE

Que suppose, en effet, cette méthode ?

Elle suppose, en premier lieu, qu’on sache mesurer la distance qui sépare la Terre de la Lune ; or ce problème est résolu, et la solution, œuvre géniale d’Aristarque de Samos et de Ptolémée, a la certitude d’un théorème de Géométrie ; sans doute, elle exige des observations délicates, auxquelles les instruments rudimentaires des anciens refusaient toute exactitude ; mais s’il nous est aisé de reconnaître aujourd’hui les erreurs grossières auxquelles une technique insuffisante les a conduits, rien assurément ne pouvait les mettre en garde contre ces erreurs.

La méthode en question regarde, en outre, comme avéré le système des mouvements célestes que décrit la Grande syntaxe mathématique de Ptolémée. Mais, si les philosophes se montrent parfois sceptiques au sujet des hypothèses qui portent ce système, tous les astronomes ont foi aux théories de l’Almageste, et cette foi est fondée en raison. « En admettant tout ce qu’a enseigné Ptolémée, dit Maïmonide[1],… les calculs faits d’après ces hypothèses ne se trouvent pas en défaut d’une seule minute ». Qui donc oserait révoquer en doute cette Astronomie, alors qu’elle permet de construire des éphémérides où les moindres phénomènes célestes sont prédits, à la minute près, de longues années d’avance ? Et, à tout prendre, avons-nous aujourd’hui des raisons d’un autre ordre pour nous lier à la Mécanique céleste de Newton ?

Aux principes de la Syntaxe mathématique, la théorie qui prétend mesurer le Monde joint une nouvelle hypothèse : Il n’y a pas de vide entre les orbes des divers astres ; il n’y a rien de superflu dans l’épaisseur accordée à l’orbite de chaque astre. Mais combien cette hypothèse est simple, et comme elle convient bien à la Physique hellène ou arabe !

D’ailleurs la théorie fondée sur ces hypothèses qui, toutes, paraissent si exactement assurées, s’offre d’elle-même à un essai qui permette d’en apprécier la solidité. Elle évalue les distances périgées et apogées du Soleil que Ptolémée a déterminées, d’ailleurs, par la méthode d’Aristarque ; on peut donc comparer les évaluations qu’elle fournit à celles qu’on a tirées de principes tout différents et très sûrs ; et cette comparaison permet de constater un accord très satisfaisant, dominent une théorie qui peut subir avec ce succès l’épreuve d’un tel contrôle ne rallierait-elle pas tous les suffrages ? Parmi les systèmes scientifiques qui ont vogue aujourd’hui parmi nous, en est-il beaucoup qui aient, à notre

  1. Moïse Maïmonide, Le guide des égarés, deuxième partie, ch. XXIV ; trad. Munk, p. 192.