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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

res homocentriques ? De telles exigences suffisent à nous avertir que ni Platon ni Aristote n’eussent consenti à réduire l’objet de l’Astronomie à ce seul problème : Imaginer des hypothèses géométriques qui sauvent les phénomènes.

Et en effet, nous savons[1] quelle place est assignée à ce problème dans le système de Platon.

L’observation faite à l’aide des sens ne révèle que des apparences ; en sauvant ces apparences à l’aide de constructions géométriques, l’astronome saisit, sous les phénomènes changeants, des réalités permanentes ; les mouvements célestes réels, ce ne sont pas les cours compliqués que la vue constate ; ce sont, les circulations simples et uniformes que la raison compose entre elles pour figurer ces cours.

Mais lorsqu’à la perception des mouvements apparents, le géomètre a substitué la connaissance mathématique des mouvements vrais, il n’a encore gravi que le premier degré de l’échelle qui monte jusqu’à la réalité suprême, jusqu’au Bien absolu. Au-dessus des réalités géométriques sont les idées, et le but du mathématicien, en nous découvrant les réalités géométriques, doit être de nous préparer à la contemplation des idées ; en précisant par quels mouvements vrais les apparences astronomiques peuvent être sauvées, il nous introduit à la connaissance et au culte des âmes divines qui président à ces mouvements réels.

Or les idées sont directement accessibles à l’intuition, qui s’élève au-dessus du raisonnement géométrique autant que celui-ci s’élève au-dessus de la perception sensible ; tandis que le mathématicien, par la méthode qui lui est propre, atteint les réalités géométriques cachées sous les apparences sensibles, le philosophe, dont l’intuition est parvenue à la contemplation des idées, peut redescendre de celles-ci aux réalités géométriques qu’elles dominent ; lorsqu’il est entré en communication intellectuelle avec les âmes divines qui meuvent les astres, il peut énoncer au mathématicien les lois suivant lesquelles ces âmes veulent que les astres soient mûs.

C’est une telle intuition, n’en doutons pas, qui parle tantôt par la bouche de Socrate, tantôt par celle de Timée ; c’est elle qui nous découvre les principes premiers de l’agencement des cieux. Lorsque Platon prescrit au géomètre de n’user, dans les combinaisons destinées à sauver les apparences, que de mouvements circulaires, uniformes et homocentriques au Monde, il lui transmet

  1. Voir chapitre II, § XIII, t. I, pp. 96-101.