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PHYSICIENS ET ASTRONOMES. — I. LES HELLÈNES

ce que lui a enseigné la contemplation intuitive des dieux, éternels directeurs des astres en ces circulations.

Ainsi, dans la doctrine de Platon, les hypothèses par lesquelles le géomètre doit sauver les mouvements apparents des planètes ne sont pas de forme arbitraire, car la forme qu’elles ont à revêtir dépend de la nature des dieux astraux ; elle s’impose comme un dogme théologique.

Elle s’impose en vertu des principes de la Physique, selon l’enseignement d’Aristote.

Au-dessus des apparences sensibles, qui ne sont pas des réalités, Platon mettait les réalités géométriques, et au-dessus de celles-ci, plus réelles encore, il plaçait les idées. Aristote ne hiérarchise pas de la sorte les réalités ; il n’y a qu’une seule espèce de réalité, celle qui est échue en partage aux êtres singuliers et concrets. Mais il hiérarchise les science[1]. L’objet de chaque science est tiré de la réalité concrète par l’abstraction ; mais plus loin l’abstraction a été poussée, plus simple et général est l’objet dont traite une science, plus aussi est élevé le degré où cette science vient prendre place. L’Astronomie géométrique, qui traite des mouvements des corps célestes, se trouve subordonnée à la science générale de l’être en mouvement, qui est la Physique ; la science de l’être en mouvement, à son tour, vient se soumettre à la science absolue de l’être, c’est-à-dire à la Philosophie première. Et d’autre part, science du mouvement des corps célestes, l’Astronomie est subordonnée à cette science que nous nommons aujourd’hui la Cinématique et qui traite du mouvement des solides abstraits ; la Cinématique, à son tour, est subordonnée à la Géométrie qui étudie les propriétés des figures en les séparant par abstraction de toute idée de mouvement.

Or les propositions que chaque science démontre deviennent, à leur tour, des principes pour la science subordonnée à celle-là ; elles enseignent à cette science subordonnée les causes qui lui donneront l’explication, le τὸ διότι des réalités dont elle constate le τὸ ὅτι.

Subordonnée donc à la Géométrie, l’Astronomie recourra aux théorèmes de cette science, et ces théorèmes lui permettront de reconnaître les combinaisons de mouvements circulaires simples par lesquelles il sera possible de sauver les apparences. Subordonnée à la Physique, l’Astronomie empruntera à la Physique les vérités que celle-ci démontre, et elle s’en servira pour expliquer

  1. Voir chapitre IV, §§ I et II ; t. I, pp, 130-150.