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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome III.djvu/195

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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE


organiser, une donnée que le Maître chartrain, nous l’allons voir, n’exigeait pas ; ils demanderont non seulement de la matière, mais encore du mouvement ; Kant, seul, réduira le rôle du Créateur au degré où Thierry le ramène.

C’est dans cet Opusculum de opere sex dierum d’une si grande audace rationnaliste, d’une telle profondeur métaphysique, que nous croyons reconnaître un reflet de la Physique d’Aristote, le plus ancien, peut-être, qui ait éclairé la pensée de la Scolastique latine.

Voici un premier passage1 qui retiendra notre attention :

« Donc, In principio creavit Deus cælum et terram, c’est-à-dire qu’au premier instant du temps, Dieu créa la matière.

» Mais, dès là qu’il fut créé, le ciel, à cause de son extrême légèreté, ne put demeurer immobile ; d’autre part, il ne put progresser en s’avançant, en passant d’un, lieu dans un autre, car il contient toutes choses ; donc, dès le premier instant de sa création, il a commencé à tourner circulairement sur lui-même ; cette première révolution s’acheva dans un espace de temps qui fut appelé le premier jour. »

Le ciel suprême contient toutes choses ; hors de lui, il n’y a pas de corps et il ne peut pas y en avoir ; partant, il n’y a pas de lieu. La sphère ultime ne peut donc pas être animée d’un mouvement progressif qui la transporte d’un lieu dans un autre. D’autre part, comme elle ne peut être immobile, il faut que son mouvement soit une rotation sur place.

C’est bien là la pensée que nous venons d’entendre de la bouche de Thierry de Chartres ; mais c’est aussi le résumé très précis d’une doctrine essentielle de la Physique péripatéticienne*. À la vérité, pour rédiger ce résumé, Thierry n’avait pas eu besoin de lire Aristote, car Macrobe le lui avait fourni.

« Le mouvement du ciel, disait Macrobe3 est nécessairement un mouvement de rotation (volubilis) ; il est nécessaire, en effet, que le ciel se meuve sans cesse ; mais, hors de lui, il n’y a pas de lieu où puisse tendre un mouvement progressif (accessio) ; partant, il faut que son agitation consiste en un perpétuel retour sur soi-même ; il court donc là où il peut et dans ce qui lui est donné ; marcher, pour lui, c’est tourner ; en effet, pour la sphère qui embrasse tous les espaces et toùs les lieux, il n’y a un seul cours, la rotation. »

1. B. Hauuéau, Op. laud., p. 173.

2. Voir : première partie, Ch. IV, § XI ; t. I, pp. 2O2-2o3. •.

3. Theodosii Ambrosh Macrobh Em Cicerane in S omnium Soipionis lib, I, can. XVII.