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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome III.djvu/401

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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

ment alternatif du centre du Monde, et encore toutes les autres choses qu’on voit en elles, il est impossible, dis-je, de ramener tout cela à la concentricité d’un certain cercle concentrique, de telle sorte qu’une telle étoile se mût sans cesse autour du centre d’un tel cercle, centre qui serait identique à celui du Monde ».

L’expérience dément donc la conclusion d’Averroès.

« Ainsi, cette fausse conclusion[1] ne peut tenir en elle-même ; mais elle ne peut tenir, non plus, dans les fondements de la raison quelle allègue. En premier lieu, elle ne peut tenir», parce qu’en interprétant le texte d’Aristote sur la distinction des trois espèces de mouvements simples, « elle prend uniformément le nom de centre dans un sens unique ; et cela, il le faut nier, car cela est contredit par l’expérience sensible, à laquelle il faut s’appuyer plus qu’à toute autre chose ».

Telle est la confiance du Dominicain allemand dans la certitude de l’expérience qu’il lui demande plus qu’elle ne peut donner ; les observations des astronomes peuvent bien démontrer qu’Averroès invoque un principe faux ; elles ne sauraient prouver que le Commentateur, en attribuant ce principe au Stagirite, interprète à faux les paroles de cet auteur. Thierry, cependant, veut qu’on s’appuie sur l’expérience des astronomes pour traduire Aristote : « Lorsque[2] le Philosophe déclare que le troisième mouvement, le mouvement naturel circulaire, se fait autour d’un milieu, on doit plutôt prendre ce mot : milieu comme signifiant tout centre naturel de tout cercle naturel sur lequel la nature détermine un tel mouvement ; et cela suffit à l’intention du Philosophe ». Assurément non ; on force ainsi le texte du Περὶ Οὐρανοῦ à ne contredire ni au système de Ptolémée ni aux mouvements observables des astres, mais on le met en opposition flagrante avec la pensée de son auteur.

Les variations que Thierry développe sur le thème qu’il vient de poser ne sauraient dissimuler l’irréductible désaccord entre sa pensée et celle d’Aristote. Et l’on se prend à regretter qu’il n’ait pas résolument affirmé ce désaccord ; qu’il n’ait pas déclaré, comme il le fait en son traité De radialibus impressionibus, le devoir de délaisser la Philosophie péripatéticienne là où l’expérience lui inflige un démenti.

Il semble, d’ailleurs, qu’il ait senti combien son opinion s’écar-

  1. Theodorici Op. laud., cap. XIV : Quomodo inducta ratio dicti Averrois destruitur quantum ad fundamenta sua, et primo quia inconvenienter sumit significationem hujus nominis [medium] et adducitur cum hoc sui ipsius testimonium. Ms. cit., fol. 58, col. d.
  2. Theodorici s. loc. cit. ; ms. rit , fol. 58, col. d. et fol. 59, col. a.