Aller au contenu

Page:Duhem - Le Système du Monde, tome III.djvu/477

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
470
L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE


hommes qui furent, à la fois, si sagaces et si studieux ; d’ailleurs, il est difficile de l’infirmer. Mais, d’un autre côté, la supposition même des épicycles est, incomparablement, plus puissante pour nous troubler ; on ne peut plus, en effet, sauvegarder ni l’uniformité du mouvement ni la supposition d’un centre propre, dès là qu’on attribue à un astre errant tantôt une élévation et tantôt une dépression, à l’égard d’une seule et même sphère. Et cependant, on ne saurait ainsi dédaigner à la légère ce qui est démontré par le sens, par la raison ou par de multiples expériences. »

Entre la thèse des mathématiciens et la thèse des physiciens, notre auteur demeure perplexe ; il ne sait qu’invoquer l’ignorance des hommes.

L’« imagination des modernes », où un Bernard de Verdun trouvait le moyen de dissiper ses doutes, ne lui est pas connue. Voici, en effet, comment il conçoit l’hypothèse des excentriques et des épicycles :

« Il a paru nécessaire aux mathématiciens[1] que les astres errants eux-mêmes, et non leurs sphères, se meuvent sur des centres distants du commun centre du Monde. »

« Les astronomes[2] attribuent une excentricité aux planètes, mais pas à leurs sphères, qui ont un commun centre avec les quatre éléments et le firmament… Il y a donc une première rotation que chacun des orbes planétaires, ainsi que la sphère du Soleil, décrit en partant de l’Orient d’un diamètre de la terre ou de la sphère des étoiles fixes, et en revenant enfin à ce même point à l’Orient ; puis, il y a un autre cercle que l’astre errant décrit par le mouvement de son propre corps, depuis le point de départ de sa. circulation, point arbitrairement choisi dans l’orbe de la planète, jusqu’au point où vient s’achever cette circulation totale. Les orbes, en effet, se meuvent tous sur un centre immobile qui est unique et toujours le même. Au contraire, tantôt une planète est, par rapport à la terre, à la plus grande distance qui soit en son orbe, tantôt elle est à la distance la plus voisine du centre de la terre, et tantôt enfin à une distance intermédiaire »

« Si les mathématiciens parvenaient[3] à démontrer, non d’une manière relative, mais d’une manière absolue, que les [mouvements des] astres errants sont vraiment excentriques à la terre et au firmament, il ne faudrait pas admettre, cependant que les sphères de ces astres sont bossues ou excentriques ; c’est à leurs

  1. Lincolniensis Summa, Cap. CCXXVI ; éd. Baur, p. 566.
  2. Lincolniensis Summa, Cap. CCXXXII ; éd. Baur, p. 575-576.
  3. Lincolniensis Summa, Cap. CCXXVII ; éd. Baur, p. 568.