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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome III.djvu/63

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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE


en acquérir la certitude ; dans un autre passage, le Philosophe de Charles le Chauve reprend des considérations analogues à celles que nous venons de lire ; en les reprenant, il cite le traité De imagine ou, plutôt, il le paraphrase ; et sa paraphrase accentue la ressemblance que nous avons signalée entre les pensées de Grégoire de Nvsse et celles que développera l’astronome arabe Al Bifrogi.

« Comment se fait-il que seul le centre du Monde, c’est-à-dire la Terre, demeure toujours immobile, tandis que les autres éléments tournent, autour de ce centre, d’un mouvement éternel ? Cela, dit Jean Scot [1], mérite une sérieuse considération. Nous connaissons, à ce sujet, les opinions qu’ont émises les philosophes profanes et les Pères de l’Église catholique.

» Platon, le plus grand philosophe qui soit au monde, établit en son Timée, par une foule de raisons, que ce monde visible est une sorte de grand animal formé d’une âme et d’un corps ; le corps de cet animal est composé des quatre éléments généraux bien connus et des divers corps qu’ils engendrent en se combinant entre eux ; l’âme de ce même animal est la vie générale qui accroît ou meut tout ce qui est en repos ou en mouvement… L’âme, dit Platon, se meut sans cesse en vue de son corps, afin de le vivifier, de le gouverner, de le mouvoir de diverses manières, en combinant et décomposant les corps de façon variée ; en même temps, elle demeure immobile en son état naturel. Éternellement, donc, et à la fois, elle se meut et reste en repos. C’est pourquoi le corps qu’elle anime, et qui est l’universalité des choses visibles, demeure, d’une part, dans une éternelle fixité — et telle est la Terre — tandis que, d’autre part, il se meut avec une vitesse éternelle — et telle est la substance éthérée ; il est une autre partie qui ne demeure pas immobile mais ne se meut pas rapidement, et c’est l’eau ; une autre partie se meut rapidement, mais non pas avec une extrême vitesse, et c’est l’air. »

L’opinion que Jean Scot vient de rapporter est celle de Platon vue au travers du commentaire de Çhalcidius. Le Philosophe de Charles le Chauve poursuit en ces termes :

« Tel est le raisonnement du Philosophe suprême ; il n’est point, je pense, à mépriser, car il est à la fois pénétrant et naturel. Mais le grand Saint Grégoire, évêque de Nysse, traite de la même question dans son livre De imagine ; et il me semble qu’il faille, de préférence, suivre son avis.

1. Scoti EarGEN.B Op. laud., liber primus, 3i ; éd. cit., coll. 476-477.

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