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LE SYSTÈME D’HÉRACLIDE AU MOYEN ÂGE

« Les écolâtres de Chartres, dit M. le chanoine Clerval [1], se tiennent en dehors du dogme dans |eur philosophie, et ils firent de la Théologie en partant non de la tradition, mais de leurs principes propres, ou bien ils regardèrent les auteurs profanes comme organes de la Révélation presque au même titre que les auteurs sacrés, et s’efforcèrent de les accorder ensemble. Ils appelaient Platon le Théologien. « Nous expliquons comment s’est fait ce qui » est raconté dans l’Écriture Sainte », disait Guillaume de Conches. Conformément à ce principe, ils empruntaient aux païens l’explication des mystères et se faisaient fort d’en rendre compte naturellement. Guillaume de Couches, Gilbert de la Porrée, Thierry de Chartres… appliquèrent leurs essais à la Sainte Trinité, d’autres à la création. Thierry prétendit aussi expliquer la Genèse physiquement et littéralement.

» Ni les uns ni les autres ne voulaient être hétérodoxes ; au contraire, ils désiraient tous suivre la foi et la servir. Bernard de Chartres rejeta l’éternité de la matière pour rester fidèle à la doctrine des Pères ; Thierry et Gilbert ne s’aperçurent pas d’abord des incompatibilités qui existaient entre leur théorie platonicienne et l’enseignement de l’Église. Ce dernier promit au pape de corriger ses livres. Guillaume de Couches, sur la fin, disait en matières dogmatiques : « Christianus sum, non Academicus. »

Cette transformation fut due, pour une très grande part, à l’influence de Pierre Lombard et à l’effort qu’il fit pour ramener les théologiens à l’étude de l’Écriture et des Pères. A combattre ceux qui veulent assujettir les desseins de Dieu aux conséquences de leur philosophie, il consacre toute une distinction, la XLIIIe du premier livre des Sentences : « Certains hommes, dit il, se faisant gloire de leur sens propre, se sont efforcés de réduire la puissance de Dieu à leur mesure. Ils disent, en effet : Dieu peut jusque-là, et non au delà. Qu’est-ce là, sinon réduire à une certaine mesure la puissance de Dieu, qui est infinie ? »

« On comprit seulement [2] après la condamnation de Gilbert et d’Abélard, et après l’apparition des Sentences de Pierre Lombard, que l’explication de la foi devait se puiser chez les Pères et dans l’Écriture Sainte, et non chez les philosophes païens. Alors les Chartrains changèrent leur méthode et redevinrent de vrais théologiens, soucieux du sens traditionnel des dogmes. »

Cette transformation, qui mit fin au Néo-platonisme médiéval, ne se produisit qu’au milieu du xiie siècle ; alors cessa l’empire de

1. A. Clerval, Op. laud., pp. 267-268.

?.. A. Clerval, Op. laud., p. 9.
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