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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome III.djvu/77

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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE


Chalcidius et de Macrobe ; mais, depuis le temps de Jean Scot Érigène jusqu’à cette époque, l’influence de ces philosophes se fit puissamment sentir et, bien souvent, aux dépens de Forthodoxie catholique.

Parmi les hérésies que peut engendrer la lecture des philosophes profanes, celles qui concernent l’âme humaine provoquent, au plus haut point, les soucis de Manégold[1]. Voici, en effet, les titres des trois premiers chapitres de son Opuscule contre Wolfelm :

« I. Qu’il ne faut pas rejeter toutes les sentences des philosophes, mais seulement celles en lesquelles ils se trompent et nous trompent ; de l’avis particulièrement détestable de Pythagore au sujet de l’âme.

» II. De Platon et des raisonnements enveloppés par lesquels il montre en quoi consiste l’âme et prétend que l’âme pénètre le corps à distance.

» III. Des divers avis des philosophes au sujet de l’âme. »

Au second chapitre, Manégold s’en prend au Timée de Platon qu’il connaît, cela va sans dire, par le Commentaire de Chalcidius, et au Songe de Scipion de Macrobe ; Macrobe est encore pris à partie au cours du troisième chapitre.

Et en effet, les Chrétiens d’Occident qui lisaient Macrobe trouvaient en cet auteur, très nettement formulés, tous les principes de la doctrine de l’intelligence unique, commune à tous les hommes, qui devait, à partir du xiiie siècle, constituer la célèbre hérésie averroïste.

Dieu, selon le Commentateur du Songe de Scipion, a créé le Νόος ; le Νόος, à son tour, regardant le Père, a créé l’Âme du Monde ; de l’Esprit dont elle est née, cette Âme tient son caractère rationnel (λογιϰόν) ; de sa nature, elle a le caractère sensitif (αἰσθητιϰόν) et le caractère végétatif (φυτιϰόν). Par sa vertu rationnelle, elle anime les corps célestes et, aussi, les plus parfaits des corps sublunaires, les hommes. L’homme n’est pas animé par les astres ; il l’est par la source qui anime aussi les astres, c’est-à-dire par la partie de l’Ame du Monde qui émane du pur Esprit. Une raison unique, que l’Ame du Monde tient de l’Esprit, réside donc dans tous les astres et dans tous les hommes ; en chaque astre, elle demeure perpétuellement ; à la mort de l’homme, au contraire, si elle est pleinement purifiée, elle est débarrassée des liens temporaires qui unissaient une partie de l’Âme du Monde à un corps.

  1. Manegaldi Opusculum… Capp. I, II et III ; éd. cit., pp. 112-114.