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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome III.djvu/88

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LE SYSTÈME D’HÉRACLIDE AU MOYEN ÂGE


parmi les choses périssables, auxquels elle trouve une tête ronde et une face levée vers le haut, elle donne la raison comme elle l’a donnée aux corps célestes et, en outre, la sensualité ; toutefois ceux qui contemplent à l’excès les choses divines cessent d’éprouver aucune sensualité pour les choses animales. Aux autres animaux, l’Âme du Monde donne les deux facultés de sentir et de végéter ; aux arbres et aux herbes, elle donne seulement la végétation. De même qu’un visage unique peut se montrer dans plusieurs miroirs, que plusieurs visages peuvent se refléter dans un seul miroir, de même une âme unique se trouve en toutes choses, et, partout, elle est en possession de toutes ses puissances, bien qu’elle les exerce diversement dans les divers corps selon l’aptitude de chacun d’eux.

» Selon cette opinion, un homme ne saurait être pire qu’un autre, car, dans tous les corps, réside une même âme qui est, par sa propre nature, bonne et immaculée ; seulement, on peut dire que cette âme est plus profondément dégénérée en un corps qu’en un autre, parce que la raison y est dominée davantage par la sensualité qui lui est associée ; en quelque corps, en effet, que se trouve l’Âme du Monde, ce corps est pour l’âme un lieu de déchéance.

» Selon cette même opinion, l’homme ne meurt jamais, en ce sens qu’il ne saurait subir la séparation de l’âme, séparation par laquelle l’âme quitterait les quatre éléments eu lesquels tous les corps se résolvent. On dit que l’homme meurt lorsque l’âme cesse d’exercer en lui ses puissances de la manière qu’elle les exerçait jusque-là. «

On ne peut pas ne pas être frappé de la précision avec laquelle notre auteur expose la théorie néo-platonicienne de l’Ame du Monde. Sans doute, nous connaissons la source à laquelle il a puisé ; son exposition reproduit en grande partie les pensées et, parfois, les expressions mêmes de Macrobe. Mais il montre, avec une netteté qu’on ne rencontre pas dans Macrobe, comment la doctrine néo-platonicienne conduit à identifier entre eux tous les intellects humains ; et, contre cette théorie monopsychiste, il s’élève avec une remarquable fermeté. Il est bien vraisemblable qu’il écrit après les tentatives hérétiques de Macarius Scotus et de F abbaye de Corbie, et que son intention est de les combattre

Le De mundi constitutione fait à Bède de nombreux emprunts ; il lui emprunte [1] ce que le Moine de Wearmouth avait écrit des

1. A propos du pré-Averroïsme de Macarius, Renan cite le De mundi constituliore liber, mais il le croit de Bède le Vénérable (ErnilST Renan, Averroès et rAverroisme ; essai historique } Paris, i852 ; pp. 101-102).

2. Bède le Vénérable, loc. cit.> col. 885 : Éxusliones.

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