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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/107

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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

quait à l’appui de cette opinion. Un roi d’Égypte avait voulu mettre en communication la Mer Rouge et la Méditerranée. Les savants de son pays le détournèrent de ce projet en lui déclarant que le niveau de la Mer Rouge était de onze stades plus élevé que le niveau de la Méditerranée, en sorte que la réunion de ces deux mers submergerait les rivages et les îles baignés par la Méditerranée.

Le Livre des éléments entend réfuter cette argumentation « par un discours certain et un syllogisme géométrique ». Elle ne prouverait ce qu’on en veut déduire que si la Méditerranée et la Mer Rouge étaient deux lacs absolument fermés. Mais il n’en est pas ainsi ; la Mer Rouge communique avec la Méditerranée par l’intermédiaire de l’Océan. « Il arriverait donc l’accident qu’ils craignent ; or, cet accident, nous ne l’observons point ; dès lors, on voit manifestement le contraire de ce que ces savants ont dit à leur maître. »

Le Livre des éléments montre, d’ailleurs, ce qui les a induits en erreur. « S’ils ont soutenu cette opinion, c’est simplement parce qu’ils habitaient l’Égypte ou vivaient aux bords du Nil. Ils ont observé le cours du Nil qui vient du Midi et s’écoule vers le Nord, et ils ont pensé que ce cours provenait uniquement de ce fait que la terre, élevée du côté du Midi, s’incline vers le Nord. » Très judicieusement, notre auteur fait remarquer que l’examen des cours du Tigre et de l’Euphrate eût conduit à une conclusion opposée.

« Elle est donc maintenant manifeste, poursuit-il, l’erreur de ceux au gré desquels la terre est élevée d’un côté et déprimée de l’autre ; on voit leur erreur ; on voit que la terre est le centre de tout l’Univers, qu’elle est, de toutes parts, équidistante de la surface de l’eau, et de la surface du feu qui contient l’air. »

Un peu plus loin, le Livre des éléments ajoute[1] : « Si la terre était parfaitement lisse et ronde, si elle ne présentait ni vallées ni montagnes, il faudrait que la surface du corps terrestre fût recouverte d’une couche d’eau également épaisse de toutes parts. » C’est aussi ce que disaient les Frères de la Pureté lorsqu’ils suivaient l’une des deux opinions qui se partageaient leurs faveurs.

Cette doctrine, conforme à l’enseignement du Περὶ Οὐρανοῦ, c’est celle qu’adopte Al Gazâli ; il l’expose avec la concision et la clarté qu’il met dans tout ce qu’il écrit.

  1. Aristotelis Opera, éd. cit., fol. 469 (marqué 369), ro.