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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/119

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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

théorie du lieu naturel au principe platonicien de la marche du semblable vers le semblable. Mais, en cherchant à fuir ce principe, c’est d’une autre théorie platonicienne qu’Albert le Grand se rapproche. Ces surfaces sphériques, concentriques au Monde, dont chacune a la propriété de conserver et de contenir l’un des éléments, ne nous rappellent-elles pas la χώρα du Timée[1] qui, comme un crible, triait et séparait les uns des autres les divers corps simples ?

Mais poursuivons la lecture des ouvrages d’Albert le Grand Le traité Sur la nature des lieux va compléter et préciser la théorie que la Physique appelait, que le Traité Du Ciel et du Monde avait esquissée ; en même temps, il nous fera connaître les sources où le futur évêque de Ratisbonne en a puisé l’idée première. Citons quelques passages de ce nouvel ouvrage.

« Le mot lieu, dit Albert[2], se prend en deux sens.

» D’une première façon, on nomme communément lieu n’importe quel corps qui enveloppe par l’extérieur un autre corps, ce corps-là étant considéré au point de vue de la surface qui contient et touche celui-ci.

» D’une seconde manière, on nomme lieu la concavité d’une surface, concavité vers laquelle se fait le mouvement d’un autre corps. »

En ce second sens, les corps célestes « n’ont pas, à proprement parler, de lieu ; ils sont le lieu des autres corps. Au contraire, les corps simples qui sont doués du mouvement rectiligne et les corps composés au moyen de ceux-ci ont, selon leur nature, un lieu vers lequel se fait leur mouvement ; ce lieu, les corps simples y ont droit par eux-mêmes et les corps composés par l’intermédiaire des corps simples qui les forment…

» Le corps simple doit être logé dans la concavité simple du corps où réside sa génération ; c’est vers cette concavité que se dirige son mouvement ; si on l’en tient écarté, il marche rapidement à sa destruction… La cause en est qu’il y a communauté de nature entre le lieu et le corps logé… Aussi avons-nous dit dans la Physique que le lieu naturel d’une chose, ce n’est pas n’importe quelle surface… En vertu des forces que possède en elle-même la surface logeante, le lieu est un principe de conservation pour le corps qu’il loge. »

Mais d’où vient au lieu naturel ce pouvoir d’engendrer et

  1. Voir : Première partie, ch. II, § III : t. I, pp. 41-42.
  2. Alberti Magni Tractatus de natura locorum, tract. I, cap. II.