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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/233

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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

au Monde quant à la gravité, c’est-à-dire que la terre et l’eau ont, toutes deux, même centre de gravité, mais non point même centre de grandeur.

» Pour comprendre cela, il faut remarquer, tout d’abord, que la terre, dans sa totalité, n’est pas purement un élément simple ; la région que nous habitons est mélangée, et par conséquent plus légère que la terre pure qui se trouve à l’opposite ; et cela est bien certain, car ceux qui creusent la terre trouvent toujours des matières de diverses natures, du sable, des pierres et d’autres corps, qui sont des mixtes.

» En second lieu, il faut remarquer que si un corps de gravité non uniforme tombait au centre du Monde, c’est son centre de gravité, et non pas son centre de grandeur, qui se trouverait en ce point. Cela est clair. Supposons qu’au centre du Monde, il ne se trouve ni terre ni eau, mais que l’air s’étende jusqu’à ce point ; qu’on jette alors un verre d’eau et que cette eau tombe jusqu’au centre ; elle se réunirait autour de ce centre sous forme d’une petite sphère d’eau ; qu’on prenne alors un long clou de fer, muni d’une très grosse tête ; d’un côté, celui de la pointe, ce clou émergerait hors de l’eau réunie autour du centre, mais de l’autre côté, il n’émergerait point, comme on le comprend sans peine.

» Il résulte de là que le centre de gravité de la terre est distinct de son centre de grandeur car, selon la première supposition, la terre n’est pas de gravité uniforme et la partie mélangée, qui se trouve de notre côté, est la plus légère ; dès lors, la partie de la terre qui se trouve en deçà de son centre de grandeur est moins pesante que celle qui se trouve au-delà ; et comme son centre de gravité coïncide avec le centre du Monde, son centre de grandeur se doit trouver en deçà du centre du Monde. *

À plusieurs reprises, le lecteur de ce passage n’a pu manquer d’évoquer, en sa mémoire, les Questions sur les Météores de Thémon ; le Pseudo-Duns Scot avait cet ouvrage sous les yeux, on n’en peut guère douter, lorsqu’il rédigeait ses propres Questions. D’autre part, l’exemple du clou rappelle Quæstiones in libros Physicorum secundum Nominalium viam de Marsile d’Inghen. Le traité faussement attribué au Docteur Subtil s’inspire, de la façon la plus constante et la plus nette, de l’enseignement que Jean Buridan et ses émules donnaient à 1* Université de Paris, au milieu du xive siècle,