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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/237

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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

donc imaginer que la gravité ou la légèreté a deux offices ; l’un de ces deux offices consiste à mouvoir le corps dans lequel elle se trouve lorsque ce corps est placé hors de son lieu naturel ; l’autre est de conserver et de maintenir le corps en son lieu lorsqu’il s’y trouve. Qu’elle exerce l’un ou l’autre de ces deux offices, la gravité doit être dite actuelle. Notre agrégat de terre et d’eau est donc actuellement grave. »

Un poids ne possède pas deux sortes de gravités distinctes selon qu’il est en son lieu propre ou hors de son lieu ; en son lieu comme hors de son lieu, il garde la même gravité, la gravité actuelle ; Pierre d’Ailly rejette, au sujet de la pesanteur, la manière de voir de Héron d’Alexandrie et de Ptolémée, que Nicolas Bonet avait clairement formulée, qu’Albert de Saxe avait savamment défendue ; il revient à l’opinion qui fut probablement celle d’Aristote et certainement celle d’Archimède.

Dès lors, sa théorie de l’équilibre de la terre et des mers est parfaitement logique ; dès là que l’eau, même en son lieu, possède la gravité actuelle et peut presser la terre sous-jacente, il est clair que le point qui se trouve au centre du Monde ne doit pas être le centre de gravité du seul élément terrestre ; ce doit être le centre de gravité de ce poids que constitue l’ensemble de la terre et de l’eau.

Après bien des hésitations et des tâtonnements, la Physique parisienne est parvenue à formuler cette proposition : La surface des mers est une sphère dont le centre coïncide avec le centre de gravité de l’agrégat de la terre et des mers. Cette proposition, nous l’avons dit, est bien voisine de la vérité ; dans la recherche, poursuivie selon la théorie de l’attraction universelle, de la figure des Océans, elle représente la première approximation. Les Nominalistes parisiens avaient donc eu la plus heureuse intuition.

À toucher si près de la vérité, ils avaient eu, toutefois, plus de bonheur que de mérite ; leur conclusion était bien voisine de l’exactitude, mais les principes dont ils l’avaient tirée n’étaient pas justes ; une Mécanique plus exacte découvre une source d’erreurs dans l’idée qu’ils se faisaient du centre de gravité ; elle ne connaît plus ce centre du Monde qui, dans leurs déductions, jouait le rôle essentiel.

Ce qu’il convient donc d’admirer dans la théorie de l’équilibre de la terre et des mers qu’a développée 1*École de Paris, c’est bien moins la réussite que la méthode, la proposition presque exacte qui l’achève que l’esprit qui l’anime. Si l’on doit