Aller au contenu

Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
245
LES PETITS MOUVEMENTS DE LA TERRE

Dans les discussions qui, dès le temps de Théophraste, mettaient aux prises les géologues grecs, nous reconnaissons une querelle que la Science moderne n’a pas encore vidée. Dans les changements compliqués dont notre Monde est le théâtre, certains reconnaissent un sens principal, dominant, par cette direction qui s’impose à la plupart des phénomènes, l’Univers marche lentement vers un certain état final où toute inégalité serait effacée, où toute cause de mouvement aurait disparu, où tout demeurerait dans un éternel repos ; ainsi ceux contre qui s’élève Théophraste pensaient-ils que l’érosion causée par les eaux pluviales conduisait peu à peu la surface terrestre à la figure d’une sphère parfaitement unie que la mer recouvrirait uniformément.

Devant cette théorie s’en dresse une autre qui, dans les bouleversements éprouvés par le Monde, voit les triomphes alternatifs de forces antagonistes dont les puissances s’équivalent ; par ces transformations inverses les unes des autres et qui se compensent, l’Univers éprouve continuellement, autour d’un même état moyen, des oscillations de peu d’amplitude. Les partisans de la première doctrine avaient montré que les montagnes étaient soumises à une action, celle de l’érosion, toujours dirigée dans le même sens, tendant sans cesse à niveler tout ce qui s’élève ; à l’action continuelle d’une force de tendance invariable, les partisans de la seconde doctrine substituent la lutte perpétuelle et l’alternative victoire de deux forces opposées, l’érosion aqueuse et l’éruption ignée. Telle était l’opinion de Théophraste et, sans doute, de beaucoup d’autres, car, au moment d’exposer l’origine ignée des montagnes, le Pseudo-Philon écrivait : « Ce que nous allons dire n’est ni nôtre ni nouveau ; c’est l’invention des anciens, d’hommes fort sages qui ont discuté eux-mêmes, avec grand soin, tout ce qu’ils regardaient comme nécessaire à la science. »

Cette perpétuelle oscillation entre un état où les mers prédominent sur les continents et un état où les continents s’étendent aux dépens des Océans, Aristote la comparaît à la régulière alternance des saisons ; au cours d’une Grande Année, le Monde voyait un Grand Été succéder à un Grand Hiver ; d’une manière analogue, Théophraste compare la vie des montagnes à celle des plantes vivaces ; la croissance des montagnes sous l’influence du feu, leur abaissement sous l’action des eaux pluviales lui rappellent la poussée et la chute des feuilles.