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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/353

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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

» La première, c’est qu’à notre sens se manifeste le mouvement des étoiles d’Orient en Occident. Leurs adversaires résolvent cette objection, car l’apparence serait la même si les étoiles demeuraient en repos tandis que la terre serait mue d’Occident en Orient.

» Voici une autre apparence sensible : Un cavalier, sur son cheval qu’emporte un rapide galop perçoit l’air qui lui résiste ; de même, si nous étions entraînés avec vitesse par le mouvement de la terre, nous sentirions une résistance notable que l’air nous opposerait. Mais on répond à cela que la terre, l’eau et la région inférieure de l’air se meuvent en commun de ce mouvement diurne ; l’air ne nous oppose donc pas de résistance.

» Une autre apparence, c’est que le mouvement échauffe ; la terre et nous, donc, qui serions mûs avec tant de vitesse, nous nous échaufferions extrêmement. A quoi les tenants de cette supposition répondent : le mouvement n’échauffe que par suite du frottement des corps les uns contre les autres, ou bien lorsque ces corps sont broyés ou pulvérisés, ici, cela n’aurait point lieu, puisque la terre, l’eau et l’air sont mûs d’un mouvement d’ensemble.

» Voici enfin une dernière apparence sensible, dont Aristote fait mention et qui, pour l’objet qu’on se propose, a plus de valeur démonstrative que les autres. Une flèche, que l’arc a lancée tout droit vers le haut, retombe sur la terre à l’endroit même d’où elle est partie ; si la terre se mouvait avec tant de vitesse, il n’en serait pas ainsi, bien au contraire ; avant que la flèche ne retombe, l’endroit de la terre d’où elle a été lancée se serait éloigné d’une lieue. Mais les partisans du mouvement de la terre veulent encore répondre à cet argument ; l’air, disent-ils, qui partage le mouvement de la terre, emporte si bien la flèche avec lui, qu’elle ne nous paraît point se mouvoir, si ce n’est suivant la verticale ; et c’est ce dernier mouvement que nous percevons seul ; quant au mouvement par lequel elle est emportée avec l’air nous ne le percevons pas. »

Aux réponses par lesquelles Oresme repoussait les objections de ses adversaires, Buridan n’a fait jusqu’ici aucune réplique ; au Chanoine de Rouen, donc, il paraît accorder que toutes ces objections sont mal fondées. Il n’en est plus de même pour la dernière ; le physicien picard ne se contente plus de la réponse du physicien normand : « Cette échappatoire est insuffisante, dit-il ; en effet, l’impétuosité de la violence qui fait monter, la flèche n’aurait point un mouvement latéral aussi grand que