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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/359

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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

devant le Soleil (circa Solem)[1], et cela parce que c’est la terre qui a besoin du Soleil, et non l’inverse. »

Pas plus que Buridan, Albert n’a voulu recevoir la supposition du mouvement terrestre ; contre elle, il s’est efforcé d’argumenter avec plus de force que son prédécesseur ; mais, dans cette tentative, il n’a point fait preuve de grande justesse d’esprit.

Il n’hésite pas à reprendre l’antique objection d’Aristote ; « Un corps lancé tout droit vers le haut ne retomberait pas exactement à l’endroit d’où il est parti… En effet, pendant que ce corps grave serait projeté en l’air, la terre continuerait de se mouvoir ; le projectile, en retombant tout droit, ne tomberait pas sur la partie du sol qui se trouvait au-dessous de lui au début de son mouvement. »

De cette objection, Oresme avait proposé une solution fort sensée, encore que les progrès de la Mécanique ne l’aient pas pleinement justifiée ; à l’explication d’Oresme, Buridan avait proposé une correction qu’autorisait une Dynamique aujourd’hui rejetée, mais longtemps reçue par les meilleurs esprits ; Albert de Saxe ne souffle mot ni de la réponse ni de la riposte ; il discourt comme si, depuis Aristote, la question n’avait été l’objet d’aucune discussion.

Il n’ignore pas, cependant, le principe dont se réclamait la solution d’Oresme ; il sait qu’au gré de ce physicien, la rotation diurne n’entraîne pas seulement la terre, mais encore les éléments et, en particulier, l’air ; c’est, en effet, contre cette supposition de la rotation diurne de l’air qu’il accumule les difficultés ; ces difficultés, cependant, la moindre réflexion lui eût permis d’en reconnaître la vanité.

« La terre, dit-il, ne se meut de mouvement diurne ni d’Occident en Orient ni en sens inverse, car, s’il en était ainsi, il serait plus difficile de s’avancer vers l’Occident que vers l’Orient, ce qui va contre l’expérience. En effet, de ce que la terre se mouvrait de l’Occident vers l’Orient et l’air avec elle, celui qui marcherait vers l’Occident irait à l’encontre du mouvement de l’air, tandis que celui qui marcherait vers l’Orient irait dans le sens du mouvement de l’air ; or il est plus difficile d’avancer contre le mouvement de l’air qu’avec ce mouvement. »

  1. En dépit de cette expression : circa Solem, le contexte montre assez qu’Albert de Saxe entend parler de la rotation diurne de la terre sur son axe, et non de la révolution annuelle qu’Aristarque de Samos, devançant Copernic, faisait accomplir à la terre autour du Soleil.