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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/375

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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

« Au gré d’Aristote, on doit regarder comme déraisonnable l’opinion d’après laquelle la nature d’un corps élémentaire serait différente selon que ce corps serait plus ou moins distant de son lieu propre, à tel point que ce corps se mouvrait vers son lieu naturel lorsqu’il en est rapproché, mais non plus lorsqu’il en est éloigné. En effet, il ne paraît pas que la distance plus ou moins grande qui sépare un corps de son lieu puisse déterminer un changement dans la nature de ce corps ; la différence mathématique des intermédiaires ne saurait entraîner une différence de nature. Il est raisonnable qu’un corps se meuve d’autant plus rapidement qu’il approche davantage de son lieu naturel, bien que l’espèce du mouvement et l’espèce du mobile demeurent, l’une et l’autre, invariables ; car la différence de vitesse, tout comme la différence de distance, est un changement de grandeur, et non pas un changement spécifique. »

Le problème de la pluralité des Mondes, que Michel Scot et ses continuateurs avaient déjà relié au problème de l’impossibilité du vide, se trouve rattaché par Saint Thomas à une autre question débattue, l’explication de la chute accélérée des graves ? Nous avons précédemment étudié[1] les solutions que le Moyen Âge a proposées de ce problème ; il sera donc inutile d’y revenir ici.

Dans sa discussion contre la pluralité des Mondes, Saint Thomas d’Aquin ne pouvait se contenter des lumières empruntées au Stagirite et à ses commentateurs, tels que Simplicius et Averroès ; en faveur de l’opinion qui tient pour possible l’existence de mondes multiples, le christianisme avait, de la toute puissance créatrice de Dieu, fait surgir un argument que l’Antiquité païenne n’avait pas soupçonné. Voici comment le Doctor commuais expose et réfute cet argument[2] :

« Sachez que plusieurs s’efforcent de démontrer par d’autres voies la possibilité de plusieurs mondes.

» Voici un premier argument : Dieu a fait le Monde ; mais la puissance de Dieu est infinie ; la production d’un Monde unique n’en atteint donc pas les bornes ; il est déraisonnable que le créateur ne puisse produire aucun autre monde : À cet argument, il faut répondre ainsi : Si Dieu faisait d’autres mondes, ou bien il les ferait semblables à celui-ci, ou bien il les ferait

  1. Voir : Cinquième, partie ; ch. XI, t. VIII, pp. 231-319.
  2. Sancti Thomæ Aquinatis Op. laud., lib. I, lect. XIX.