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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/391

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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

monde-là ne se mût point vers le centre de celui-ci, parce que ces mondes ne seraient pas de même espèce… Mais cela va à l’encontre de ceux qui affirment l’existence de plusieurs mondes, car tous ces mondes sont, disent-ils de même espèce… La terre de l’autre monde et la terre de ce monde-ci sont donc de même espèce ; partant, il faut que la terre de l’autre monde se meuve naturellement vers le centre de ce monde-ci. »

Jandun ne veut pas davantage accepter cette raison : « La terre de l’autre monde ne se mouvrait pas vers le centre de celui-ci parce qu’elle en est trop distante ; ainsi le fer n’est pas, à toute distance, attirée par l’aimant. » Comme Averroès, dont il invoque ici l’autorité, notre auteur repousse toute assimilation entre la tendance d’un grave vers son lieu propre et la tendance du fer vers l’aimant ; il reprend, à cette occasion, la théorie des actions magnétiques qu’avait proposées le Commentateur.

Cette théorie des actions magnétiques et l’opposition qu’elle met entre le mouvement du fer vers l’aimant et la chute d’un grave semblaient au chanoine de Senlis, pensées fort importantes[1]. Si l’on consentait, en effet, à comparer ces deux sortes de mouvements, si l’on admettait qu’un grave qui tombe « est mû par une force naturelle exercée par le lieu propre (virtute naturali loci), alors, la terre d’un autre monde ne tomberait pas au centré de ce monde-ci ; mais cette proposition est fausse et contredit Aristote »… Elle serait cependant conséquence évidente du principe admis ; une force exercée par le lieu (virtus loci), c’est, en effet, une vertu corporelle ; elle n’agit que jusqu’à une distance déterminée.

Par sa doctrine qui tient la pluralité des Mondes pour une impossibilité, Jean de Jandun va-t-il donc encourir l’anathème d’Étienne Tempier ? Non pas, car voici la déclaration qu’il formule[2] :

a Tout cela ne préjuge rien de la puissance divine ; en celle-ci, on sauvegarde toujours une liberté infinie et le pouvoir infini de créer plusieurs mondes, bien que de cela, nous ne puissions avoir une conviction prise des choses sensibles ; or c’est de celle-ci que se tire le raisonnement d’Aristote. Cependant, c’est chose à laquelle il faut croire fermement, en donnant avec respect notre assentiment aux docteurs sacrés de la foi. »

  1. Joannis de Janduno Op. laud., lib. IV, quæst, XIX.
  2. Joannis de Janduno Op. laud., lib. I, quæst, XXIV.