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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

faisait, ce serait une œuvre purement miraculeuse dont la Physique ne saurait rendre raison.

Albert de Saxe connaît[1] les arguments favorables à la pluralité des Mondes que Saint Thomas d’Aquin exposa jadis : « Il vaut mieux multiplier ce qui est bon et parfait que de ne pas le multiplier ; mais le Monde est bon et parfait ; il vaut donc mieux qu’il existe plusieurs mondes qu’un seul ; et comme Dieu peut faire qu’il en soit ainsi, comme en outre, parmi tous les possibles, Dieu réalise toujours le meilleur, il existe nécessairement plusieurs mondes. »

Cet argument, Albertutius le réfute : « Il n’est pas toujours vrai que la multiplicité d’une bonne chose soit meilleure que n’en est l’unité ; car, s’il en était ainsi, il serait mieux qu’il y eût plusieurs dieux qu’un seul ; et cela est faux parce qu’impossible. » Cette riposte avait été déjà donnée par Jean de Jandun[2].

Albert de Saxe connaît également les objections par lesquelles Ockam a prétendu ruiner les raisons du Stagirite[3] ; mais il s’en faut bien qu’il leur accorde la valeur que le Venerabilis Inceptor leur attribue.

Selon Guillaume d’Ockam, les diverses parties d’un même élément ne tendent pas forcément vers un lieu naturel unique. « Nous voyons, en effet, qu’un feu peut tendre vers son lieu naturel en montant vers le pôle nord, et un autre en montant vers le pôle sud, en sorte qu’ils tendent vers deux lieux numériquement distincts. » À quoi notre auteur répond : « Ces deux feux se meuvent vers un lieu qui, pris dans son ensemble, est numériquement unique ; c’est la concavité de l’orbe de la Lune ; bien que les diverses parties du feu élémentaire tendent vers des lieux naturels qui sont numériquement distincts. » C’est d’Ockam, encore, que provient cette objection :

« Il semble que la distance ait quelque influence sur la gravité et sur la légèreté. En effet, si une certaine masse de feu se trouvait au centre du Monde, elle se mouvrait vers le Ciel, qui est le lieu du feu, de telle sorte qu’une partie se dirigerait vers le pôle nord et une autre vers le pôle sud ; tandis que si l’on

  1. Quæstiones subtilissimæ Alberti de Saxonia in libros de Cælo et Mundo ; lib. I, quæst. XIII : Utrum suit vel possint esse plures mundi.
  2. Joannis de Janduno In libros Aristotelis de Cælo et Mundo quæstiones subtilissimæ ; lib. I, quæst. XXIV : An sit possibile esse plures mundos ?
  3. Alberti de Saxonia Op. laud., lib. I, quæst. XII : Utrum, supposito quod essent plures mundi, terra unius mundi moveretur ad terram alterius mundi.