Aller au contenu

Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/400

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
397
LA PLURALITÉ DES MONDES

plaçait cette masse de feu entre le centre du Monde et le Ciel, elle se mouvrait tout entière vers une même partie du Ciel », savoir, vers celle qui est la plus proche de ce feu. Mais Albert n’est point embarrassé par cette objection : « La distance, répond-il, peut bien faire que les diverses parties d’un même élément tendent vers leur lieu par des voies diverses ; mais elle ne peut faire qu’un corps cesse de tendre vers son lieu naturel. »

Une autre considération pourrait faire supposer que le poids d’un grave dépend de sa distance au centre du Monde : « Lorsque la terre se trouve en ce centre, elle ne pèse plus ; elle semble avoir perdu toute inclination vers son lieu naturel. » — « Bien au contraire, répond Albert de Saxe, lorsque la terre se trouve en son lieu, sa tendance est d’y demeurer, tandis que si elle se trouve hors de son lieu, sa tendance est de s’y rendre… Il est donc faux que la terre ne soit plus pesante lorsqu’elle se trouve en son lieu naturel ; puisqu’elle est douée de gravité lorsqu’elle se trouve hors de ce lieu, elle ne saurait, lorsqu’elle y parvient perdre cette gravité ; elle est donc pesante en son lieu naturel comme hors de ce lieu ; mais la gravité a un certain office lorsque la terre est hors de son lieu, et un autre lorsqu’elle se trouve en son lieu ; dans le premier cas, elle incline la terre au mouvement vers son lieu naturel et, dans le second cas, elle l’incline au repos. »

Ces considérations nous ramènent à l’une des théories favorites d’Albert de Saxe, à sa distinction entre la gravité actuelle et la gravité potentielle dont nous avons parlé dans un précédent chapitre[1].

Nous avons également vu[2] qu’Albert, à la suite de Buridan, avait, avec grande faveur, développé les conséquences de cette proposition : Une masse de terre est en équilibre lorsque son centre de gravité coïncide avec le centre du Monde. En vertu de ce principe, si la terre formait une couche limitée par deux surfaces sphériques concentriques à l’Univers, cette terre se trouverait en son lieu naturel, bien que chacune de ses parties fût fort éloignée du centre commun des graves. De là cette curieuse, conclusion[3] :

« S’il existait plusieurs mondes concentriques, la terre de l’un de ces mondes ne tendrait pas vers le centre de l’autre ;

  1. Voir plus haut : ch. XVII, § VI, p. 216.
  2. Voir plus haut : Idem, p. 210.
  3. Alberti de Saxonia Op. laud., lib. I, quæst XIII.