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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/51

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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Voyons maintenant quel rôle le Tractatus de fluxu et refluxu maris va faire jouer à la Lune[1].

« Sachez que la Lune a pour propriété d’engendrer l’humidité en toute matière convenablement disposée, à rendre fluide cette matière, en sorte qu’elle n’est plus contenue par une borne qu’elle s’impose à elle-même (mais épouse aisément le terme que lui impose un autre corps (male terminabilis termino proprio, licet bene termino alieno) ; c’est un rôle contraire qu’on attribue à l’efficace du Soleil, car celle-ci, en ce qui la concerne, dessèche tout.

» Lors donc que la Lune se lève sur la mer d’où s’est dégagée . la matière [gazeuse] dont nous avons parlé, elle trouve autour des pôles une grande quantité de vapeurs ; ces vapeurs ont disposition à redevenir eau ; la Lune les fait donc couler très vite et avec grande impétuosité sur la mer ; les eaux ainsi produites forment une sorte d’intumescence au-dessus de la surface primitive de la mer ; ces eaux sont liquides (humidœ, liquidœ) ; elles tendent au lieu le plus bas *, elles s’écoulent donc en tout sens, recouvrant, en raison de leur abondance, les parties plates des rivages voisins et remplissant les parties creuses ; c’est ce débordement que les habitants des rivages de la mer nomment le flux. »

Le flux n’est donc pas un simple gonflement de la mer sans apport de substance nouvelle ; c’est l’addition à la mer d’une grande masse d’eau que la Lune produit, dans les régions polaires, en condensant les vapeurs. Après avoir vu comment l’intumescence aqueuse ainsi produite est cause du flux, voyons comment se fait le reflux[2].

« À partir des pôles du Monde, la mer [qui a été ainsi accrue] ne cesse de couler jusqu’à ce que sa surface redevienne équidistante au centre du monde. Or la génération de ces eaux n’en fournit jamais une telle quantité que le reste de la mer et de ses rivages puisse être rempli jusqu’au niveau où ont été remplis les cavités et les rivages voisins [du lieu de la condensation]. Partout, pour que la surface liquide puisse recouvrer son unité, les eaux qui avaient afflué sur les dits rivages voisins doivent nécessairement se retirer ; elles se retirent par l’effet de leur marche vers la partie médiane du Monde, qui est située plus bas qu’elles ; durant ce mouvement, elles affluent sur les parties

  1. Ms. cit., fol. 258, col. c.
  2. Ms. cit., fol. 258, col. c et d.