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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/162

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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

supporter l’éclat de cette Lumière suprême. Le Point suprême ne peut être vu que par les rayons lumineux qui en jaillissent. Mais comme tous les êtres éprouvent un besoin irrésistible d’approcher du Point suprême, tel un affamé brûlant du désir de manger, les rayons jaillissant du Point suprême forment à leurs extrémilés inférieures un autre point ; c’est le Point den bas.

« Le point d’en bas, c’est Élohim : et pourtant, c’est la même Lumière qu’en haut, l’Infini. Ce mystère est connu des initiés.

» Le fleuve qui sort de l’Éden désigne les rayons qui unissent le point d’en haut au point d’en bas. »

» Les âmes émanent du Point d’en haut et sont charriées par ce fleuve jusqu’au Paradis d’en bas. »

« Au moment où l’âme descend pour venir en ce monde, elle pénètre d’abord dans le Paradis d’en bas[1]

» Tous les esprits qui viennent en ce monde sont composés de mâle et de femelle ; chaque esprit quitte le ciel, mâle et femelle unis. Ce n’est qu’ici-bas que l’esprit mâle quitte l’esprit femelle. Si l’homme est digne, il retrouve l’autre moitié de son âme qui s’unit à la sienne ; c’est l’épouse prédestinée, à laquelle il s’unit pour ne former qu’une âme et qu’un corps…

» C’est à cause du péché d’Adam et de sa femme que l’âme se sépare en deux dès qu’elle arrive ici-bas, et elle reste séparée jusqu’au jour où il plaît au Saint (béni soit-il !), de faire l’union. Si l’homme est digne, ou lui donne l’épouse prédestinée ; sinon, il en reste séparé, et elle est donnée à un autre dont elle a des enfants qui ne sont pas légitimes. »

Interrompons un instant cet exposé de la descente de l’âme ici-bas pour signaler un curieux rapprochement entre ce que nous venons d’entendre et une pensée chère à Jean Scot Érigène. Celui-ci fait aussi, de la distinction des sexes, une suite du péché d’Adam. « Si le premier homme n’avait pas péché, dit-il[2], sa nature n’éprouverait pas la partition en deux sexes. Il demeurerait d’une manière immuable dans ses raisons primordiales au sein desquelles il a été fondé à l’image de Dieu. » Lorsque à la fin du Monde, les hommes retourneront à leurs substances éternelles, la distinction des sexes disparaîtra de nouveau. « Dans la résurrection, le sexe sera supprimé[3], la nature deviendra une, elle sera seulement homme (homo), comme il en eût été si l’homme n’eût point péché. »

  1. Zohar, III, foll. 43a et 43b ; t. V, pp. 120-121.
  2. Joannis Scoti Erigenæ De divisione naturœ lib. II, cap. 6 [Joannis Scoti Erigenæ Opera. Accurante J. P. Migne (Patrologiæ latinæ t. CXXII), col. 532].
  3. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., lib. V, cap. 20 ; éd. cit., col. 893.