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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/17

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AVICÉBRON

soit conservé ce qui rapproche ces deux êtres et d’où soit exclu ce qui les distingue ; ce fonds commun, c’est leur commune matière.

La matière péripatéticienne est autre chose. Elle est le fonds commun à deux êtres qui proviennent l’un de l’autre par voie de transformation ; au sein de l’un de ces deux êtres, alors qu’il existe en acte, elle est l’existence en puissance de l’autre être. Ce n’est donc pas, entre deux objets, l’existence de n’importe quel rapport, de n’importe quelle parenté, qui entraîne, au sein de ces deux objets, l’existence d’une commune matière ; c’est l’existence d’un rapport très particulier, la possibilité de se transformer l’un en l’autre.

Les quatre éléments ont une matière commune parce que l’air se peut changer en eau, l’eau en terre, etc. Aux corps célestes, Aristote hésite à transporter la notion de matière, car ils ne sont pas susceptibles de s’engendrer ni de périr ; tout au plus consent-il à leur accorder une matière sujette au mouvement local, une ὕλη τοπική qui, dans un corps céleste, demeure invariable tandis que ce corps change de place. Mais il ne saurait être question d’attribuer une commune matière aux éléments et aux astres, car entre eux, il ne peut y avoir transmutation. Encore moins la notion de commune matière pourrait-elle trouver place dans le monde des Intelligences, alors que les Intelligences ne se transforment pas les unes dans les autres, alors qu’elles ne se transforment pas en corps, alors enfin que, ne possédant aucun lieu, elles ne sauraient se mouvoir de mouvement local.

L’analyse par laquelle Avicébron est parvenu aux notions de Matière universelle et de Forme universelle est toute semblable à celle du naturaliste classificateur qui réunit des individus en espèces, des espèces en genres, des genres en familles, et ainsi de suite ; cette opération supprime les différences entre plusieurs notions et forme, à l’aide de leurs seules ressemblances, une notion moins déterminée qui les comprend toutes.

Cette operation, Aristote l’avait pratiquée en Logique ; elle l’avait conduit à la notion de catégories ; il n’y voyait pas un procédé métaphysique propre à nous instruire de la nature même des choses. Les Néo-platociens l’avaient transportée dans le domaine théologique ; c’est ainsi qu’à chacune des hypostases divines, ils avaient été conduits à superposer une autre hypostase plus universelle et moins déterminée ; c’est ainsi que, par une analyse toujours plus pénétrante, Plotin avait, au dessus de l’Âme et de l’Intelligence, placé l’Un ; que Proclus, entre l’In-