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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/193

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MOÏSE MAÏMONIDE ET SES DISCIPLES


E. L’immortalité de l’âme.


En un seul point, la pensée de Maïmonide s’écarte de la doctrine d’Avicenne pour se rapprocher de celle d’Averroès ; cette théorie, où le Rabbin se montre infidèle à l’enseignement d’Ibn Sinâ, concerne le sort de l’âme humaine après la mort. D’ailleurs, il nous dira lui-même quelle influence a ravi son assentiment ; c’est celle d’Ibn Bâdja.

Maïmonide n’accorde pas l’immortalité à toutes les âmes humaines ; il la réserve aux âmes des hommes d’élite. « Les âmes des hommes d’élite, selon notre opinion[1], bien que créées, ne cessent jamais d’exister. » Ces âmes sont celles que l’Écriture nomme les âmes des justes[2]. Pourquoi cette restriction ? Rabbi Moïse ne nous le dit pas, mais il est aisé, par tout ce que nous savons des prédécesseurs de Maïmonide, d’en deviner la raison ; c’est l’épanchement de l’intelligence active qui, à l’âme humaine, confère l’immortalité ; cette immortalité ne peut donc appartenir qu’à ceux dont l’âme rationnelle offrait, à l’action de l’Intelligence séparée, une matière convenablement préparée.

Ces âmes des hommes d’élite ne demeurent pas, après la mort, distinctes les unes des autres : voici par quelle théorie Maïmonide est conduit à cette conclusion :

Parmi les êtres pourvus de corps, la diversité des matières est la seule chose qui distingue les individus les uns des autres, par conséquent, la seule cause de multiplicité numérique. Entre intelligences séparées de tout corps, la diversité ne peut provenir de la différence des matières ; il faut un autre principe d’individuation ; c’est la relation de cause à effet qui fournit ce principe ; deux intelligences séparées sont numériquement distinctes parce que celle-ci est cause de celle-là et celle-là effet de celle-ci ; ainsi se distinguent les unes des autres les dix Intelligences célestes qui s’ordonnent du Premier Créé à l’intelligence active. C’est cette doctrine que Maïmonide formulait en son seizième axiome[3] : « Tout ce qui est incorporel n’admet point l’idée de nombre, à moins que ce ne soit une force dans un corps, de sorte qu’on puisse nombrer les forces individuelles en nombrant leurs matières ou leurs sujets. C’est pourquoi les choses séparées, qui ne sont ni un corps ni une

  1. Moïse Maïmonide, Op. laud., Deuxième partie, ch. XXVII ; éd. cit., t. II, p. 205.
  2. Moïse Maïmonide, Op. laud., Première partie, ch. LXX ; éd. cit., t. I, p. 327.
  3. Moïse Maïmonide, Op. laud., Deuxième partie, Introduction ; éd. cit., t. II, pp. 15-16.