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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/195

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MOÏSE MAÏMONIDE ET SES DISCIPLES

comme capables de former une démonstration entièrement convaincante.

Or, parmi ces preuves, il en est qui sont, en effet, d’Aristote et que les philosophes néo-platoniciens lui avaient empruntées mais il en est aussi où la Métaphysique d’Avicenne est clairement supposée. Ainsi, après avoir établi[1], d’une manière assez obscure d’ailleurs, l’éternité de la Matière première péripatéticienne, Moïse donne cet autre argument[2] :

« Avant que le Monde fût, sa naissance devait être ou possible, ou nécessaire, ou impossible : or si sa naissance a été nécessaire, il a toujours existé ; si sa naissance a été impossible, il n’a jamais pu exister ; enfin, si elle a été possible, quel serait donc le substratum de cette possibilité ? Il fallait donc nécessairement quelque chose qui fut le substratum de la possibilité et par quoi la chose en question pût être dite possible. »

« C’est là, poursuit Maïmonide, une méthode très forte pour établir l’éternité du Monde. » Or cette méthode n’est nullement dans le sens de la Métaphysique d’Aristote, tandis que la Philosophie d’Al Gazâli l’a exposée avec grand soin.

Tous ces arguments en faveur de l’éternité du Monde sont de même forme ; concédant que le Monde a commencé, ils considèrent ce qui eût été possible avant ce commencement, puis ils constatent que la possibilité de ces choses implique à son tour la coexistence du Monde. À tous ces arguments, Maïmonide oppose une même fin de non-recevoir ; nous sommes, à son avis, radicalement incapables de raisonner sur ce qui était ou n’était pas possible avant la naissance du Monde : « De la nature qu’a une chose après être née, achevée et arrivée en définitive à l’état le plus parfait, dit-il[3], on ne peut nullement argumenter sur l’état où était cette chose au moment où elle se mouvait pour naître. On ne peut pas non plus argumenter de l’état où elle était au moment de se mouvoir sur celui dans lequel elle se trouvait avant de commencer à se mouvoir. Dès que tu te trompes là-dessus et que tu persistes à argumenter de la nature d’une chose arrivée à l’acte sur celle qu’elle avait étant en puissance, il te survient des doutes graves ; des choses qui doivent être te paraissent absurdes, et des choses absurdes te semblent devoir être. »

  1. Moïse Maïmonide, Op. laud., Deuxième partie, ch. XIV ; éd. cit., t. II, pp. 115-116.
  2. Moïse Maïmonide, loc. cit., pp. 117-118.
  3. Moïse Maïmonide, Op. laud., Deuxième partie, ch. XVII ; éd. cit., t. II, p. 130.