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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/22

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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

non est privata absolute, quia habet esse in se in potentia, scilicet illud quod habebat esse in scientia. Æterni, Excelsi et Magni, non composita cum forma. »

« Explique-moi cela plus clairement, dit le Disciple ; fais-moi comprendre cette existence de la Matière sans forme en la Sagesse du Créateur ? » — « L’existence de la Matière en la Sagesse du Créateur, répond le Maître, est semblable à l’intelligence, qui réside en mon âme, de la réponse à la question que tu m’as posée ; de ce que cette intelligence n’existe pas encore en toi, il n’en résulte pas qu’elle soit, en moi, privée d’existence. »

Pour Ibn Gabirol, donc, comme pour Aristote, l’existence en puissance de la Matière est une existence éternelle. Mais, pour Aristote, cette existence est extérieure à l’intelligence divine : il faut donc que la Matière existe éternellement au sein de substances où elle se trouve perpétuellement unie à des formes, en sorte que le Monde ne saurait avoir ni commencement ni fin. Il n’en va plus de meme pour Ibn Gabirol, car la Matière peut exister de deux manières différentes ; elle peut être unie à une forme qui en fait une substance douée d’existence actuelle ; elle existe aussi, dépouillée de toute forme, réduite à l’existence purement potentielle, au sein de la Connaissance divine.

Le passage de cette forme d’existence-ci à celle-là constitue la création.

La Forme, elle aussi, existe de toute éternité au sein de l’Intelligence divine ; elle y est distincte de la Matière, car la Science de Dieu ne peut confondre ces deux essences différentes. C’est au sein la Science de Dieu que la Matière et la Forme ont été unies entre elles, par une opération instantanée qui leur a donné l’existence substantielle. L’est ainsi que la création est l’œuvre de la Science divine.

Plus précisément[1], la Matière et la Forme ont, en la Science de Dieu, le même rapport qu’ont, dans une intelligence, la chose concevable et la faculté de concevoir ; qu’ont, au sein du sens, la chose perceptible et la faculté de percevoir. La création, c’est-à-dire « la production de la Forme en la Matière par Dieu, production qui fait passer du non-être à l’être, est semblable à l’opération par laquelle, au sein d’une essence intelligente, l’intelligence est appliquée à l’objet intelligible, par laquelle, au sein d’une sensibilité, la faculté de percevoir est appliquée à l’objet de la perception. »

  1. Avencebrolis Fons vitæ, Tract, V, cap. 6. p. 267.