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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/24

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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

unique, parce que toutes leurs figures particulières se trouvent réunies et ramenées à l’unité dans cette forme qu’est la Corporéité universelle. Toutes les choses sensibles qui se trouvent en ce Monde, prenons-les de même, non seulement avec la figure de chacune d’elles, mais encore avec les propriétés et accidents qui en constituent la nature ; l’ensemble de ces natures particulières va trouver son unité dans une substance qui ne sera plus sensible, comme l’est chacune des natures particulières, mais qui sera purement intelligible ; cette substance sera la Nature universelle. Elle sera donc ce qui unit et conjoint les choses sensibles, ce qui en fait un seul tout, ce qui permet aux éléments de se mélanger, aux mixtes d’entrer dans la composition des pierres, des végétaux et des animaux.

Si la Corporéité assure l’unité à tous les corps de l’Univers, c’est parce qu’elle est une forme qui réunit en elle les figures et les grandeurs de tous les corps. Ainsi en est-il de la Nature universelle ; dans la forme de cette Nature coexistent toutes les formes des natures sensibles particulières[1]. Mais il ne faut pas imaginer que la forme de la Nature universelle soil, elle aussi, une forme singulière, distincte des formes sensibles particulières, et dans laquelle celles-ci se trouveraient contenues comme des objets se trouvent dans un coffre distinct des choses qu’il renferme. « Tout ce qui peut recevoir une multitude de formes[2] n’a pas de forme qui lui soit propre. Or une substance simple, telle que l’Âme, l’intelligence ou la Nature, peut recevoir une multitude de formes. Aucune de ces substances na donc en elle de forme qui lui soit propre. » La forme de la Nature, c’est la Forme universelle dont toutes les formes naturelles ne sont que des cas particuliers ; elle est identique à l’ensemble même de ces formes particulières. Voilà pourquoi l’on peut dire que la Nature est toutes les natures singulières, qu’« elle est tout ce qui est au-dessous d’elle[3] ».

Cette union par laquelle la Nature est toute chose sensible et. par laquelle toute chose sensible est en la Nature, comment devons-nous la comprendre ? « Vous devez comparer[4] l’existencce de la Substance corporelle universelle dans la Substance spirituelle universelle à l’existence du corps en l’âme ; de même que l’âme contient et soutient le corps, de même la Substance spirituelle universelle contient et soutient le corps universel du Monde ; et de mâme

  1. Avencebrolis Fons vitæ, Tract, IV, cap. 16. p. 248. Tract. V, cap. 18, p. 290.
  2. Avencebrolis Fons vitæ, Tract, III, cap. 22. p. 131.
  3. Avencebrolis Fons vitæ, Tract, V, cap. 18. p. 290.
  4. Avencebrolis Fons vitæ, Tract, II, cap. 24. pp. 69-70.