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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/332

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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

» Si la forme a été créée en même temps que la matière, d’où provient la différence entre la matière et la forme ? Ce n’est pas la matière qui donnera à la forme de quoi différer de la matière, ni la forme qui donnera à la matière de quoi différer de la forme. Cette première multiplicité, donc, qui est celle de la matière et de la forme, ne provient ni de la matière ni de la forme ; et comme, hors la matière et la forme, il ne reste rien d’autre que le Créateur, il faut qu’elle provienne du Créateur. »

Il est à peine besoin de remarquer que les propos tenus par Alexandre au sujet de la corporéité portent la marque, très reconnaissable, d’Avicenne ou d’Al Gazâli. Mais, peut-être, convient-il de signaler l’extrême originalité de la doctrine contenue au passage que nous venons de rapporter. S’il est un principe qui ait été unanimement accepté par les commentateurs grecs d’Aristote et par les Néo-platoniciens hellènes, juifs ou arabes, c’est assurément celui-ci : Toute multiplicité a sa raison d’être dans la matière, tandis que la forme est un principe d’unité ; c’est par la matière que les divers individus d’une même espèce se distinguent les uns des autres ; ils ont, en commun, une même forme qui réalise l’unité de l’espèce en la multiplicité des individus.

De ce principe, joint à cet autre que l’âme est la forme du corps, découlait, d’une manière forcée, cette conséquence : Différents les uns des autres par le corps, les divers individus de l’espèce humaine sont, par l’âme, un seul homme.

Pour barrer le passage au progrès de cette hérésie, Guillaume d’Auvergne n’avait pas hésité à déclarer que la matière n’est pas, à elle seule, le principe qui distingue les uns des autres les divers individus d’une même espère. Alexandre reprend avec plus de force et plus de détails cette même affirmation.

Cet exemple nous montre quelle opiniâtre résistance les rédacteurs de la Somme opposaient encore aux doctrines péripatéticiennes ou néo-platoniciennes, alors qu’elles tentaient de s’introduire au sein de la Scolastique latine. Même dans les parties qui semblent ajoutées à la rédaction primitive de la Somme, et qui font mention de ces doctrines, leurs enseignements les plus essentiels sont, bien souvent, repoussés.


D. L’influence d’Avicenne.


La Somme d’Alexandre de Hales avait peut-être, disions-nous, revêtu une première forme où presque rien ne décelait encore l’influence du Péripatétisme grec ni du Néo-platonisme arabe, une