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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/333

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GUILLAUME, ALEXANDRE, ROBERT

forme en laquelle ni la pensée d’Aristote ni la pensée d’Avicenne n’avaient profondément marqué leur sceau ; cette forme, en revanche, portait, en son modelé, la trace de certaines impressions que la Scolastique avait, depuis longtemps, accoutumé de subir. On a signalé[1], dans cette Somme, des passages où se reconnaît l’empreinte de la pensée d’Avicébron ; ces passages, plus nombreux encore et plus importants qu’on ne l’a dit, ne ressemblent aucunement à ces pièces de rapport où se trouvent mentionnées des opinions d’Aristote ou d’Avicenne, à ces pièces qu’on pourrait supprimer sans que le plan général de l’œuvre en fût sensiblement modifié ; ils tiennent solidement aux fondements mêmes du traité ; ils en représentent certaines doctrines essentielles.

D’ailleurs, nous ne saurions nous étonner qu’Alexandre de Hales connaisse les doctrines du Fons vitæ, car il cite[2] le commentaire que Gilbert de la Porrée a consacré au Traité de la Trinité de Boëce, et nous avons vu que Gilbert était déjà, sans doute, au nombre des disciples d’Ibn Gabirol. Il cite également, nous l’avons dit, le livre De unitate et uno que Dominique Gondisalvi avait composé, en grande partie, au moyen d’extraits du Fons vitæ. Enfin, certains passages de la Somme expriment des pensées qui semblent bien porter la marque de Jean Scot Érigène.

Peut-être pourrait-on soutenir qu’Alexandre de Hales n’a pas connu directement la philosophie d’Avicébron, mais seulement la philosophie du prédécesseur d’Ibn Gabirol, Jean Scot, et celle des continuateurs du Philosophe juif, Dominique Gondisalvi et Gilbert de la Porrée. On peut douter, toutefois, que ces sources eussent pu lui fournir toutes les pensées qu’il conçoit en commun avec le Fons vitæ ; et, d’ailleurs, il est bien naturel qu’il ait subi l’influence de cette œuvre que Guillaume d’Auvergne lisait et qu’il attribuait à un Chrétien.


E. La matière spirituelle.


Cette influence, toutefois, ne sera pas tellement puissante que les enseignements du Philosophe juif ne se trouvent corrigés en quelques points essentiels, et cela dans un sens nettement péripatéticien.

Toute créature est un être composé. « En tout être, au-dessous

  1. Michael Wittmann, Die Stellung des III. Thomas von Aquin zu Avencebrol (Ibn Gebirol) (Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters, Bd. III, Heft. III, Münster, 1900), pp. 20-21.
  2. Alexandri de Ales Op. laud., Pars I. quæst. XVIII, membrum VIII.