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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/485

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SAINT THOMAS D’AQUIN

du genre, et la forme déterminée que désigne le nom de la différence spécifique.

» On voit par là que le genre, la différence spécifique et l’espèce ont entre eux des rapports semblables à ceux qu’ont, dans la nature, la matière, la forme et le composé, bien que ces choses-ci ne soient pas les mêmes que celles-là. Le genre n’est pas la matière ; il est seulement pris de la matière, mais en vue de désigner le tout. La différence spécifique n’est pas la forme ; elle est seulement prise de la forme afin de désigner le tout. L’espèce, enfin, c’est le tout en tant qu’il désigne le tout, c’est-à-dire le genre et la différence spécifique pris ensemble. »

Alexandre de Hales avait déjà dit[1] que le genre et la différence spécifique ne sont pas la matière et la forme ; qu’ils se comportent seulement à la façon (ad modem) de la matière et de la forme. C’est la même pensée que nous trouvons ici, mais combien plus précise et plus détaillée !

De quelle manière les divers individus d’une même espèce vont-ils se distinguer les uns des autres ? L’essence, nous l’avons vu, implique une matière ; mais c’est une matière abstraite, générale ; ce n’est pas une matière particularisée, une materia signata. Ce qui va distinguer les uns des autres les individus d’une même espèce, c’est que chacun d’eux a une matière bornée, délimitée, une materia signata, et que la matière de l’un, circonscrite par de certaines dimensions, est séparée de la matière de l’autre : « Il faut savoir, en effet, que le principe d’individuation, ce n’est pas la matière prise de n’importe quelle manière ; c’est la matière délimitée materia signala], J’appelle matière délimitée (materia signata) celle qui est considérée [comme comprise] sous des dimensions déterminées. Dans la définition de l’homme, en tant qu’homme, on ne pose pas une telle matière ; mais il la faudrait poser dans la définition de Socrate, si Socrate était susceptible d’être défini. Ce qu’on pose en la définition de l’homme, c’est la matière non délimitée (materia non signata)… On voit par là que l’essence de l’homme et l’essence de Pierre n’ont d’autre différence que celle du non délimité au délimité. »

Cette distinction entre la materia non signata et la materia signata jouera, en diverses parties de l’œuvre de Saint Thomas d’Aquin, un rôle tout à fait essentiel ; nous la retrouverons, en particulier, lorsque nous étudierons l’opuscule De substantiis separatis. Elle ne se rencontre pas dans L’Écrit sur le livre des Sen-

  1. Voir ; Troisième partie, ch. IX, § III ; ce vol., p. 330.