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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/517

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SAINT THOMAS D’AQUIN

était intimement liée à l’éternelle distinction entre l’essence et l’existence ; l’essence était le sujet, le réceptacle éternel de l’action créatrice qui, éternellement, lui confère l’existence. Une telle doctrine ne pouvait être conservée par le Chrétien qui, dans la création, voit une innovation, un commencement absolu, et non plus une émanation sans commencement. À la distinction entre l’essence et l’existence d’une créature, Thomas d’Aquin a fixé un début, le même début qu’à la créature. Dès lors, cette distinction entre l’essence et l’existence n’a plus joué aucun rôle dans la théorie de la création. Le Docteur Angélique, qui n’avait pas parlé de la création dans son traité De ente et essentia, a pu exposer toute sa philosophie des idées et de la création sans faire la moindre allusion à la distinction entre l’essence et l’existence.

Entre ces deux doctrines si complètement séparées l’une de l’autre par Thomas d’Aquin, les successeurs de ce docteur s’efforceront de renouer le lien ; de là des tentatives qui, au temps d’Henri de Gand, donneront lieu à de grandes discussions métaphysiques.


VI
LA MATIÈRE PREMIÈRE ET LES DIMENSIONS INDÉTERMINÉES. LE PRINCIPE
D’INDIVIDUATION. L’UNITÉ DE LA FORME SUBSTANTIELLE

Dans le Doctor comniunis, nous venons de discerner successivement le disciple d’Avicenne et le disciple de saint Augustin ; reconnaissons-y, maintenant, le disciple d’Aristote.

L’étude de la délimitation de la matière à l’aide de dimensions déterminées, l’étude du principe d’individuation, qui se ramène à celle-là, font l’objet d un opuscule intitulé : De natura materiæ et de dimensionibus interminatis. Le but de cet opuscule, c’est de réfuter la théorie proposée par Averroès au De substantia orbis et de lui substituer une théorie plus satisfaisante.

Averroès, nous l’avons vu[1], distinguait nettement la façon dont les dimensions sont reçues en la matière première des corps célestes et la façon dont elles sont reçues en la matière des corps sublunaires.

Dans un corps céleste, on ne peut considérer d’autres dimensions que des dimensions déterminées, actuelles ; ces dimensions ne font

  1. Voir : Troisième partie, Ch, III, § IV ; L IV, pp. 541-545. — § V ; t. IV, pp. 545-548.