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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/468

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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

ciel, il y a véritablement, matière. Cela se pourrait soutenir, non pas à l’aide de raisons, mais à l’aide d’autorités. »

Entre ces deux propositions contradictoires dont l’une invoque les raisons de la Physique péripatéticienne et l’autre l’enseignement autorisé de l’Écriture et des Pères, quelle est celle qu’il faut tenir pour véritable ? Si c’est la seconde, quelle réponse convient-il d’opposer aux arguments dont se targue la première ? En présence de ces questions embarrassantes, le lecteur de François de Meyronnes demeure dans l’indécision ; pour l’en tirer, l’auteur ne fait rien de plus que n’eût fait Siger de Brabant. En une foule de circonstances, d’ailleurs, il agit de même ; après avoir argumenté en laveur d’une thèse aussi bien qu’en faveur de la thèse opposée, il s’abstient de conclure.

« Une autre question difficile est relative aux anges[1] ; possèdent-ils une matière ? Je dis, et cela pour la même raison, que l’on ne voit pas pourquoi il y aurait en eux une matière ni pourquoi il y en aurait une en l’âme rationnelle. » Ainsi se trouve sommairement condamnée toute la théorie de la materia primo prima.

La divergence entre François de Meyronnes et son maître sera encore plus accentuée en une autre question d’une extrême importance, en celle qui concerne la distinction entre l’essence et l’existence.

Duns Scot, Pierre Auriol, Antonio d’Andrès, Jean de Bassols avaient, d’un commun accord, nié qu’il y eût aucune distinction entre l’essence et l’existence ; d’un commun accord, ils avaient combattu l’argumentation par laquelle Henri de Gand s’était attaché à prouver l’existence de cette distinction et à en préciser la nature. Or cette théorie d’Henri de Gand, si fort en défaveur auprès du Docteur Subtil et de ceux qui ont été immédiatement soumis à son influence, c’est celle que François de Meyronnes va adopter et défendre.

Une longue question du Conflatus est ainsi formulée[2] : L’existence essentielle (esse essentiæ) diffère-t-elle de l’existence actuelle (esse existentiæ).

« L’essence et l’existence de la créature, est-il dit en réponse à cette question[3], ne diffèrent pas réellement l’une de l’autre… En effet, lorsque deux choses sont réellement distinctes, Dieu peut faire l’une sans faire l’autre ; Dieu cependant ne peut produire

  1. François de Meyronnes, loc. cit. ; éd. cit., fol. 150, col. b.
  2. Francisci de Mayronis Conflatus, Dist. XLII, quæst. V ; éd. cit., fol, 122, recto et verso.
  3. François de Meyronnes, loc. cit., fol. 122, coll. c et d.