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LA CHUTE ACCÉLÉRÉE DES GRAVES

retirée du feu, et l’on voit, pendant un certain temps, se poursuivre la raréfaction et l’évaporation. »

Cette explication que Buridan mentionne sans y attacher créance, nous verrons bientôt Marsile d’Inghen l’admettre et la développer.

Buridan nous a bien montré pourquoi il révoquait en doute l’accélération initiale du mouvement d’un projectile. Cette accélération, Oresme y croyait si bien qu’il ne s’est pas contenté d’en affirmer la réalité dans le passage que nous rapportions il y a un instant ; mais il y revenait ailleurs, après avoir cité ce texte d’Aristote[1] : « Une chose pesante ne seroit pas meue plus i&nelment en la fin du mouvement que au commencement, si elle estoit meue par violence et par trusion, car toutes choses meues par violence sont meues plus tardivement quand elles sont plus loing », il ajoute ceci : « C’est assavoir vers la fin du mouvement ; car vers le commencement, leur isnelté va en croissant, si comme d’un dart ou d’un vireton, comme il est meu par violence, et est une distance certaine où l’isnelté est la plus grande, et illuec seroit le plus grant coup ; et après, l’isnelté va en appétissant. »

En accordant à ce phénomène imaginaire sa confiance très autorisée, Oresme l’a, semble-t-il, accrédité dans l’enseignement parisien ; aussitôt après lui, nous voyons Marsile d’Inghen s’efforcer d’expliquer comment l’impetus, en se distribuant de meilleure manière au sein du mobile, commence par accélérer la marche de ce corps.

Ce fut, il faut bien le reconnaître, un fâcheux service qu’Oresme rendit par là au progrès de la Dynamique. Convaincus que la vitesse d’un mobile continuait à croître après l’instant de la projection et, d’autre part, mécontents de la théorie visiblement insuffisante de Marsile d’Inghen, les mécaniciens cherchèrent quelque autre explication de ce phénomène, dont la réalité leur semblait hors de doute ; ils furent ainsi conduits à mettre sur le compte de l’ébranlement de l’air cette prétendue accélération initiale du projectile ; puis, tout naturellement, ils furent tentés d’attribuer à la même cause l’accélération qui se produit très réellement en la chute d’un corps grave ; ils en vinrent de la sorte à méconnaître l’heureuse et féconde explication de cette accélération telle que l’on pouvait la lire dans les écrits de

  1. Nicole Oresme, Traité du Ciel et du Monde, livre I, chap. XVIII ; ms. cit., fol. 19, col. b et c.