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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

» Si deux tels mobiles, mus de mouvements incommensurables entre eux, sont maintenant en conjonction, ils ne se trouveront plus jamais en conjonction au même point. »

D’autres propositions analogues développent la pensée d’Oresme et montrent que s’il y a, dans le Ciel, des mouvements dont les durées sont privées de commune mesure, une même disposition des astres errants par rapport aux étoiles fixes ne pourra se produire deux fois.

« Ces propositions et d’autres semblables, dit l’auteur à la fin de cette seconde partie[1], résultent de la supposition que tous les mouvements du Ciel ou que quelques-uns de ces mouvements sont incommensurables entre eux.

» Suit la troisième partie. »

Par la forme qu’elle revêt comme par les pensées qu’elle développe, cette troisième partie est la plus intéressante. Qu’il nous soit permis d’en traduire ici les principaux passages.

« De ce que je me proposais d’examiner, j’ai franchi deux parties en partant de deux hypothèses contradictoires ; de part et d’autre, j’ai conclu d’une manière conditionnelle ; j’ai dit quelles conséquences on obtenait, si tous les mouvements du Ciel sont commensurables entre eux, et quelles s’ils sont incommensurables. Reste un troisième point à examiner ; c’est celui qui sollicite le plus vivement l’esprit ; celui-ci, en effet, ne saurait demeurer en repos tant qu’il ne tient pas une conclusion catégorique et qu’il ne sait pas quelle supposition est vraie : Ces mouvements sont-ils ou non commensurables ?

» Tandis que, retenant mon souffle, je me proposais à examiner cette question, voici que je tombai dans une sorte d’assoupissement, et qu’Apollon m’apparut, accompagné des Muses et des Sciences. Le Dieu m’interpelle en ces termes :

» Ta préoccupation ne vaut rien ; ton application sera continuelle et ton labeur interminable. Connaître les rapports précis des choses de ce Monde, ne sais-tu pas que cela passe le génie de l’homme ? Puisque ta question concerne les choses sensibles, il te faut commencer par examiner les sens ; ceux-ci ne sauraient saisir la précision ponctuelle ; un excès imperceptible, plus petit même que la millième partie de quoi que ce soit, suffit à détruire une égalité et à faire passer un rapport du rationnel à l’irrationnel. Comment donc pourrais-tu connaître avec une exacte ponctualité les rapports qu’ont entre eux soit les divers mou-

  1. Ms. cit., fol. 249, ro.