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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/169

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

autres ; on voit par là que l’eau a quelque chose d’intermédiaire entre le corporel et le spirituel.

» Quand donc la main meut une pierre, elle meut, en même temps, l’air conjoint ; celui-ci pénètre au sein d’une autre partie d’air et chasse cette autre partie, qui charrie la pierre avec elle ; il en est ainsi jusqu’à ce qu’une dernière partie d’air soit seulement mise en mouvement sans mouvoir une autre partie. Le mouvement de la pierre est, dès lors, semblable à celui du navire poussé par des ondes qui se suivent les unes les autres ; il semble que ce soit un mouvement continu, bien qu’il soit composé de plusieurs mouvements successifs. »

Dans ce passage, il n’y a pas seulement souvenir de l’enseignement d’Albert le Grand et de Saint Thomas d’Aquin ; il y a réminiscence de la doctrine averroïste ; c’est Averroès, et Averroès seul, qui, pour rendre compte du mouvement des projectiles, avait eu l’étrange pensée de traiter les fluides comme des êtres intermédiaires entre les corps et les esprits.

Les Sententiæ uberiores font une autre allusion au mouvement des projectiles ; le passage où se rencontre cette allusion nous montrera, plus nettement encore que le précédent, les traces de l’influence averroïste.

L’auteur développe ce principe péripatéticien : Il faut, en tout mouvement, que le moteur ait, avec le mobile, un contact immédiat, c Dans le cas des projectiles, dit-il[1], il ne paraît pas en être ainsi, alors que le mobile est, par une certaine distance, séparé de ce qui l’a lancé. Mais le moteur immédiat, c’est l’air ; cet air a été mis en mouvement par ce qui a lancé le projectile ; cet air ébranlé meut celui qui le suit, qui en meut un autre, et il en est ainsi jusqu’à ce que la force prenne fin.

» C’est aussi le milieu qui meut le féu vers le’haut et la pierre vers le bas ; ce milieu est moteur par accident ; en effet, par la nature de la gravité la pierre tend vers le bas ; aussi met-elle l’air en mouvement, le divisant afin de le traverser ; mais l’air résiste à la pierre et, selon qu’il a plus ou moins d’épaisseur, il la retarde plus ou moins ; et c’est ainsi qu’il la meut par accident. Il en est semblablement pour le feu. »

Si une pierre tombe, c’est seulement parce qu’elle est poussée par l’air qu’elle-même a chassé de son lieu. Poussé par un Péripatétisme qui avait, en lui, anéanti le bon sens, Averroès avait

  1. Sententiæ uberiores, lib. VII, premier fol. après le fol. sign. Ciij, vo.