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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/266

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NICOLAS DE CUES

l’esprit fait subir une suite de soustractions à la grandeur ou au nombre ; il parvient enfin à un minimum ; il s’arrête à une certaine chose qui est, il est vrai, un individu, mais qui faisait partie d’une certaine multitude susceptible de division, qui était comprise dans autre chose » Mais l’Un même n’est pas impliqué dans aütre chose ; il ne réside pas dans une multitude ; son individualité n’est pas celle d’un minimum ; il est, en effet, le maximum de toutes choses, non pas en grandeur, mais en puissance. »

La pensée qu’exprime ce passage, Nicolas de Cues la rencontrera maintes fois ; mais il la formulera ainsi : L’unité parfaite, c’est le minimum absolu ; elle est donc identique au maximum absolu qui est l’infini ; ce minimum et ce maximum sont Dieu.

Entre ce langage et celui de Plotin, qui ne voit la différence ? En présence de l’inconcevable unité de Dieu, Plotin cherche, par des explications claires et simples, à nous faire entrevoir comme une ombre de la vérité ; il s’efforce surtout de nous mettre en garde contre une interprétation erronée du mot un. Nicolas de Cues, tout au contraire, prend plaisir à nous déconcerter par une affirmation qui est contradictoire dans les termes mêmes qui servent à l’énoncer.

Nous ne serons donc pas surpris si le Néo-platonisme du Cardinal allemand dépasse de beaucoup, en audace déraisonnable, le Néo-platonisme hellénique et les doctrines qu’il avait inspirées jusqu’alors chez les Arabes, chez les Juifs et chez les Chrétiens.


D. L’existence du maximum absolu


Tout nombre obtenu par une numération actuelle est fini ; en puissance, le nombre est infiniment grand ; étant donné un nombre, on peut toujours, par voie d’addition, en former un plus grand. On peut aussi, par soustraction, former un nombre plus petit qu’un nombre entier, et cela jusqu’à ce qu’on arrive à l’unité, qui n’est plus un nombre. Tel est l’enseignement d’Aristote, unanimement répété par la Scolastique.

Nicolas de Cues s’empare de cet enseignement, il lui applique son postulat, et voici ce qu’il en tire[1] :

  1. Nicolai de Cusa De docta ignorantia, lib. I, cap. V ; éd. cit., t. I, p. 4.