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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/265

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

va porter tout le système métaphysique de Nicolas Chrypfs.

La jonglerie de mots ! Ce sera vraiment la méthode de notre philosophe. Il se donnera l’air de dérouler des chaînes de syllogismes ; ce ne seront que tours de passe-passe. En veut-on un exemple ?

On connaît la comparaison d’Hermès Trismégiste : L’infini est une sphère dont le centre est partout et la circonférence nulle part. Cette comparaison avait fait fortune dans l’École. On la citait volontiers comme exemple des conséquences étranges auxquelles on parvient quand on prétend raisonner sur l’infini comme on raisonnerait sur le fini. Nicolas de Cues la reprend à son tour ; il s’en sert pour manifester son axiome de la coïncidence entre le maximum et le minimum ; voyons de quelle façon il l’accommode.

Le cercle infini, dit-il[1], c’est le cercle maximum « comme c’est le plus grand cercle, son diamètre est aussi le plus grand diamètre ; et comme il ne peut y avoir plusieurs maxima, ce cercle est doué d’une unité si parfaite que son diamètre est sa circonférence. Mais un diamètre infini a un milieu infini. Or le milieu, c’est le centre. Il est donc évident que le centre, le diamètre et la circonférence sont une même chose. Par là, notre ignorance savante apprend qu’il y a ummaximum incompréhensible auquel le minimum ne s’oppose point, car le centre est sur la circonférence même. »

Sans doute, dans toute la philosophie néo-platonicienne, la métaphore a tenu une place excessive ; Plotin et ses successeurs ont oublié trop souvent que comparaison n’est pas raison ; on les pourrait bien souvent accuser de cette jonglerie verbale que nous reprochons au Cardinal allemand ; mais, dans ce travers, celui-ci, croyons-nous, donne bien plus fort qu’aucun de ses prédécesseurs.

Lisons, par exemple, ce passage[2] où Plotin s’efforce de faire concevoir à son lecteur l’unité parfaite de Dieu :

« Dans quel sens disons-nous qu’il est un ? De quelle manière comprendrons-nous le mieux possible cette affirmation ? Évidemment, nous devons donner au mot un une signification plus complète que celle où nous le prenons ordinairement lorsque nous parlons de l’unité. Dans ce dernier cas, en effet,

  1. Nicolai de Cusa Op. laud., lib. I, cap. XXI ; éd. cit., t. I, p. 16.
  2. Plotini Enneades ; Enneadis sextæ lib. IX, cap. VI ; éd. Firimn Didot, p. 534.