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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/271

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE


F. L’éternité de Dieu


En présence de ce Dieu, qui surpasse toute affirmation comme toute négation, le futur Évêque de Brixen va-t-il donc garder le silence ? Nullement ; de cette indéfinissable nature, notre métaphysicien va démontrer les propriétés ; il en va, tout d’abord, à grand renfort de syllogismes, établir l’éternité, et cette éternité, il se trouvera qu’elle est, à la fois, une et triple.

Ce qui est immuable, dit Chrypfs[1], est nécessairement éternel ; l’éternité est donc l’apanage de ce qui précède tout changement.

Or le changement, c’est ce par quoi quelque être devient autre (alter) ; c’est l’altération (alteritas)[2] ; partant, ce qui précède toute altération est éternel.

Or qui dit : altération, dit : une chose, puis une autre. L’altération implique la dualité, et la dualité, qui est nombre, est postérieure à l’unité ; dès lors, l’unité précède toute altération, en sorte que l’unité est éternelle.

La dualité, qui est la première des altérations, est aussi la première des inégalités ; par nature, l’inégalité et l’altération sont simultanées. « Or, toute inégalité consiste en ceci : Ce qui serait égal, plus un excédent. Par nature, donc, l’inégalité est postérieure à l’égalité. » Il en résulte que l’égalité, qui précède naturellement toute inégalité, précède aussi toute altération ; dès lors, l’égalité est éternelle.

Si, de deux causes, l’une est naturellement antérieure à l’autre, tout effet de la première précède, par nature, tout effet de la seconde. Or l’unité est connexion ou cause de connexion ; des objets sont dits connexes quand ils sont unis ensemble, quand ils ne font qu’un. La dualité, au contraire, est division ou principe de division, car la dualité est la première des divisions. Mais l’unité, cause de connexion, précède par nature la dualité, cause de division ; la connexion est donc, par nature, antérieure à toute division ; d’autre part, altération et division sont, par nature, simultanées, car l’altération implique la dualité, qui est la première division ; en sorte que la Connexion, naturellement antérieure à toute altération, est, elle aussi, éternelle.

  1. Nicolai de Cusa De docta ignorantia, lib. I, cap. VII ; éd. cit., t. I, pp. 5-6.
  2. Le mot alteritas signifie simplement : une chose et une autre chose ; pour rendre ce sens très large et, partant, assez vague, nous le traduirons tantôt par altération, prise comme synonyme de changement, tantôt par diversité.