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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/278

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NICOLAS DE CUES

l’égalité de l’entité, ou, en d’autres termes, l’égalité de l’être ou de l’existence (æqualitas essendi sive existendi).

» Mais l’égalité de l’existence, c’est ce qu’il y a dans une chose, ni plus ni moins, rien au delà, rien en deçà. S’il y a plus dans une chose, celle-ci est monstrueuse ; s’il y a moins, il n’y a plus génération de l’Égalité par l’Unité. »

La Docta ignorantia ne nous donne évidemment en ce passage qu’un résumé du Libellus de opere sex dierum ; ajoutons qu’elle en donne un résumé mal fait ; en effet, tandis que Thierry s’est efforcé, même au prix de redites, d’exprimer sa pensée avec tout l’ordre, avec toute la clarté qu’on, peut mettre en de telles méditations métaphysiques, le Cardinal allemand, pour avoir trop recherché la concision, est tombé dans une profonde obscurité ; on comprendrait malaisément ce qu’il a voulu dire si l’exposition de l’Écolâtre chartrain ne projetait quelque lumière dans ces ténèbres ; à la lettre abstruse de Nicolas de Cues, elle donne une sorte de commentaire ; mais le commentaire a précédé la lettre.

Ce commentaire nous fait également saisir le sens exact d’un passage que le futur évêque de Brixen donne un peu plus loin[1], et qui est celui-ci :

« De toute éternité, Dieu a pu créer les choses ; ce pouvoir, il l’eût possédé lors même qu’il n’eût point créé ces choses ; c’est par là, on le voit, qu’il reçoit, à l’égard des choses, le nom de Fils. S’il est Fils, en effet, c’est parce qu’il est l’égalité de l’existence des choses, égalité au-delà ou en deçà de laquelle les choses ne pourraient exister. — Ex hoc enim est Filius, quod est æqualitas essendi res, ultra quam vel infra res esse non possent. — C’est-à-dire qu’il est Fils parce qu’il est l’égalité de l’entité des choses que Dieu pouvait faire, lors même qu’il ne les eût faites en aucun temps ; et ces choses, si Dieu ne les avait pu faire, il n’y aurait ni Dieu Père, ni Dieu Fils, ni Dieu Esprit-Saint ; que dis-je ! il n’y aurait pas de Dieu du tout. »

« C’est donc[2] seulement en tant que créateur que Dieu est, à la fois, un et triple ; en tant qu’infini, il n’est ni triple, ni un, ni rien de ce qui peut être dit. »

  1. Nicolai de Cusa Op. laud., lib. I, cap. XXIV ; éd. cit., t. I, p. 20.
  2. Nicolai de Cusa Dialogus de pace seu cancordantia fidei, cap. VII ; éd. cit., t. II, p. 866.