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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/279

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

I. L’Univers contracté et la création


Dans la divine Trinité réside le Fils, qui est l’ensemble des choses, l’Univers idéal que le Père peut créer.

D’autre part, hors Dieu, sont des êtres finis dont la réunion compose ce que Nicolas de Cues nomme l’Univers contracté ou concret (contractus).

Ces deux Univers, les devons-nous regarder comme deux êtres essentiellement distincts, dont l’un a été simplement créé à la ressemblance et à l’image de l’autre ? Écoutons notre philosophe[1] :

« Tout don de Dieu a résidé, de toute éternité, au sein du Père ; il en descend au moment où il est reçu… Cette descente, c’est une contraction de l’éternité dans une durée qui a commencement. La créature descend donc de l’éternité au sein de laquelle elle a toujours existé. Mais l’éternité donnée n’a pu être reçue que sous forme contractée ; partant, l’éternité sans principe existe, à partir du moment où elle est reçue, comme chose qui admet un principe (Hinc æternitas sine principio principiative recepta existit), Le Monde a donc un principe…

» Mais il n’y a pas un monde qui réside, éternel, au sein du Père, et un autre monde qui a été, par le moyen d’une, descente, fait par le Père ; le Monde sans principe et le Monde qui, par l’effet d’une descente, a été reçu dans son être propre, à titre de chose qui admet un principe (principiatioe) c’est un seul et même Monde. Au sein du Père, ce Monde n’est point soumis au changement ; dans une perpétuelle stabilité, dans une suprême clarté, exempte de toute variation d’éclat (vicissitudo obumbrationis), il subsiste toujours identique à lui-même et au Père. Mais lorsqu’il est descendu du Père, lorsqu’il a été reçu dans son être propre, il est sujet au changement ; privé de stabilité, il flotte dans une continuelle variation de son éclat. On dirait que le Monde est un dieu sujet au changement et à la variation d’éclat, tandis que le Dieu éternel serait un monde soustrait au changement et à toute variation d’éclat. — Quasi Mundus sit deus transmutabilis in vicissitudine obumbrationis, et mundus intransmutabilis et absque omni vicissitudine obumbrationis sit Deus æternus. — Ce sont manières de parler qui sont intelligibles, sans qu’il y ait à les préciser d’aucune façon. »

  1. Nicolai de Cusa De dato Patris luminum, cap. III ; éd. cit., pp. 287-288.