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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/285

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

état, il ne se meut point, mais se repose. Il est clair, alors, qu’on ne trouve dans le mouvement que des repos. Le mouvement consiste à sortir d’un état pour se trouver dans un autre état ; en d’autres termes, c’est passer d’un repos à un autre repos. Le mouvement, ce n’est donc qu’une succession de repos développée en série. »

Le point, minimum absolu d’étendue, l’instant, minimum absolu de durée, le repos, minimum absolu de mouvement, ne peuvent avoir d’existence actuelle au sein de la Nature contractée ; dans cet Univers créé, tout minimum absolu se présente comme une impossibilité.

Le minimum absolu n’a d’existence qu’en Dieu ; ou, mieux, identique au maximum absolu, il est Dieu lui-même. L’instant présent, en même temps qu’il est infiniment voisin du néant, est identique à l’éternité, c’est-à-dire à Dieu même ; étant Dieu, il ne peut être absolument réalisé dans aucune des choses créées. Écoutons le développement de ces propositions[1].

« Le lieu naturel du temps, c’est l’éternité, autrement dit le nunc, le présent, de même que le lieu du mouvement, c’est le repos, que le lieu du nombre, c’est l’unité. De quoi constatons-nous l’existence au sein du temps, si ce n’est du présent ? Le temps coule, et son flux a pour origine son être même, et cet être le nunc, le présent ; aussi disons-nous que, du temps, nous ne possédons que le présent. Le présent est unique et non multiple, car il ne passe point dans le passé et, du futur, on ne saurait dire : maintenant. Ce nunc, qui est le point d’arrivée et le point de départ de l’écoulement du temps, il est l’essence ou l’être du temps ; nous le nommons l’aujourd’hui, ou l’éternité, ou le présent qui demeure dans une perpétuelle immobilité. Le nunc de l’éternité est donc l’éternité elle-même ; c’est proprement l’être qui est l’essence du temps ; c’est Dieu éternel, identique à son éternité… Or Dieu est en toutes choses, et il n’est dans aucune ; il est en chaque chose, en tant qu’être absolu ; il n’est en aucune chose, en tant qu’elle est tel ou tel être particulier… Dieu n’est donc point, sinon dans l’être absolu ; dès lors, comme le dit Maître Eckehart, il n’est point dans le temps, ni dans le continu, qu’on nomme aussi la grandeur, ni dans aucune chose capable de plus ou de moins, ni dans ce qui présente des distinctions, ni dans aucune créature. »

  1. Nicolai de Cusa Excitationum, lib. VII ; ex sermone : Ubi est qui est natus rex Judæorum ? Ed. cit., t. II, p. 569.