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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/286

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NICOLAS DE CUES

C’est donc seulement en Dieu que le présent possède l’existence actuelle ; et l’on en peut dire autant du repos, du point, de tous les minima absolus, de toutes les synthèses.

Mais il est un mode d’existence autre que l’existence actuelle ; c’est l’existence intellectuelle[1], l’existence au sein de l’intelligence qui conçoit les formes des choses en les délivrant de toute union avec la nature contractée ; en cette existence intellectuelle, « les formes sont véritables ; elles gardent lçur caractère distinctif et l’ordre selon lequel elles se disposent naturellement. » Or les minima absolu, principes et synthèses dont les développements constituent l’Univers contracté, sont capables de cette existence intellectuelle.

« L’âme raisonnable [2] est une forcé synthétique qui enveloppe, en elle tous les concepts déjà synthétiques. Elle enveloppe la synthèse du nombre et la synthèse de la grandeur, qui sont l’unité et le point. Faute de l’unité et du point, elle ne pourrait faire aucune distinction au sein du nombre et de la grandeur. Elle enveloppe en elle la synthèse des mouvements, et cette synthèse se nomme le repos. Elle enveloppe la synthèse du temps, qui se nomme maintenant (nunc) ou présent ; car, dans le temps, elle ne trouve rien que le présent. On en peut dire autant de toutes les synthèses ; l’âme raisonnable est la simplicité où toutes les notions synthétiques se viennent réunir. »

L’intelligence, donc, « ne voit pas [3] les choses temporelles dans le temps, c’est-à-dire dans une succession instable ; elle en a l’intuition dans un indivisible présent. Le présent, en effet, le nunc même, synthèse de toute durée, n’appartient pas au monde sensible, car le sens ne saurait l’atteindre ; il appartient au monde intelligible. De même, l’intelligence n’a pas l’intuition des grandeurs dans une étendue corporelle et divisible, mais dans un point indivisible, qui est la synthèse intelligible de toute quantité continue. »

En résumé, dans la Nature créée, dans l’Univers contracté, les développements continus, l’étendue, le temps, le mouvement possèdent seuls l’existence actuelle ; les synthèses unes et indivisibles, le point, le présent, le repos, y sont de pures impossibilités.

Ces synthèses n’ont d’existence actuelle qu’en Dieu ; en chaque ordre de choses, la synthèse est, à la fois, le maximum absolu et le minimum absolu, c’est-à-dire Dieu même.

  1. Nicolai de Cusa De docta ignorantia, lib. II, cap. VII ; éd. cit., p. 32.
  2. Nicolai de Cusa De ludo globi, lib. II ; éd. cit., t. I, p. 231.
  3. Nicolai de Cusa De filiatione Dei libellus ; éd, cit., t. I, p. 126.