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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/287

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

Mais, d’autre part, ces synthèses, immédiatement contiguës au néant, possèdent l’existence intellectuelle ; seules, elles ont accès dans notre intelligence ; c’est par elles seules que nous concevons l’Univers, car les développements de ces synthèses, l’étendue, le temps, le mouvement échappent aux prises de notre raison.

Telle est la très audacieuse doctrine dont la pensée de Nicolas de Cues paraît avoir fait sa constante préoccupation ; or de cette doctrine, il nous est permis, croyons-nous, de dire l’origine ; elle rappelle, et de très près, ce que Damascius avait conçu touchant le temps et le mouvement, ce que Simplicius nous a fait connaître[1] de la théorie de son maître.

Le Cardinal allemand trouvait, d’ailleurs, dans ce que les Confessions de Saint Augustin ont dit du temps[2], des idées qui ont peut-être inspiré Damascius et qui n’étaient pas sans analogie avec ses propres pensées ; mais sa doctrine a bien plus de ressemblance avec celle du philosophe païen qu’avec celle du docteur chrétien.

Selon Damascius, le temps substantiel, χρόνος ἐν ὑποστάσει. existe simultanément en totalité ; et c’est sous cette forme que le temps existe au sein de l’Âme du Monde, au sein de la Nature universelle. Au sein des choses sensibles, au contraire, l’existence du temps consiste en un perpétuel écoulement. Notre intelligence, intermédiaire entre l’Âme du Monde et les choses sensibles, ne saisit le temps ni tel qu’il s’écoule en celles-ci ni tel qu’il subsiste en celle-là, mais sous forme d’une série de résumés dont chacun condense, sous forme fixe, une partie du temps coulant.

Nicolas de Cues va plus loin que Damascius. À la partie la plus élevée de notre âme, à l’intelligence, il attribue vraiment le pouvoir de connaître ce temps substantiel que Damascius plaçait seulement au sein de l’Âme du Monde et de la Nature universelle ; elle « ne voit pas les choses temporelles dans le temps, c’est-à-dire dans une succession instable ; elle en a l’intuition dans un indivisible présent. »

Ce que le maître de Simplicius nommait temps substantiel, le Cardinal allemand le nomme temps intemporel, tempus intemporale.

  1. Voir : Première partie, ch. V, § IV ; t. I, pp. 263-271.
  2. Voir : Seconde partie, ch. I, § XII ; t. II, pp. 471-477.