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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

motrices que le polythéisme astral des Hellènes y avait logées, déclare que les astres se meuvent en vertu de l’impulsion initiale que leur a communiquée le Créateur ; c’est à ce moment qu’Albert de Saxe entrevoit la loi véritable de la chute des corps ; c’est à ce moment que Nicole Oresme devance à la fois Descartes, Galilée et Copernic ; alors que la bataille de Poitiers s’achevait en désastre, l’enseignement de ces maîtres jetait le plus vif éclat sur l’Université de Paris,

Semblable coïncidence n’a rien d’étrange ; maintes fois on a vu quelqu’une des périodes les plus sombres de l’histoire des peuples être, en même temps, des plus brillantes pour l’histoire de la science. Il n’est, guère de calamité qui puisse empêcher le génie de produire les idées dont il est gros ; l’esprit ne redoute guère que sa propre stérilité.

Or, au début du xve siècle, les méthodes que l’École avait cultivées avec le plus de fruit dépérissent et se dessèchent ; tous les hommes clairvoyants devinent que c’en est fait de leur fécondité.

Après avoir, pendant longtemps, accordé à la Scolastique un large crédit, la Théologie se détourne d’elle avec méfiance.

Cette méfiance se justifie par deux raisons.

De mieux en mieux, d’abord, la Théologie se convainc que les principes posés par le Péripatétisme et par le Néo-platonisme des Hellènes ne se peuvent concilier avec le dogme chrétien ; qu’à vouloir fortifier la foi par le secours de telles doctrines, on risque bien plutôt, d’y introduire de ruineuses erreurs.

De plus en plus, d’autre part, la Théologie se doute des minutieuses, des chicanières discussions dont l’École l’avait surchargée ; elle les tient pour ronces épineuses et infructueuses qui entravent l’âme en marche vers les seules vérités salutaires.

De ces deux sentiments, le premier était fort ancien dans l’Église de Paris.

Dès le jour où l’on avait vu les maîtres de Chartres, les Guillaume de Conches et les Thierry d’Armorique, transformer les dogmes catholiques en systèmes métaphysiques et philosopher à la façon des païens, on avait vu aussi Hugues de Saint-Victor et l’évêque même de Paris, Pierre le Lombard, opposer à cette sagesse profane les enseignements tirés des livres des Pères.

Plus tard, lorsque les traductions nouvelles avaient commencé de répandre dans l’École la connaissance des traités d’Aristote, d’Avicenne et d’Al Gazâli, on avait entendu un autre évêque