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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/293

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

et dans les choses, elles n’ont d’existence actuelle qu’à l’état concret. »

Touchant le Monde des idées, le philosophe de Cues professe donc, de la manière la plus formelle, la doctrine que Saint Augustin avait proposée, que Scot Erigène et, après lui, tous les grands théologiens de la Scolastique, avaient embrassée.

Il ne veut pas qu’on tienne l’Univers dont il parle pour identique au Monde des idées ; il ne veut pas davantage qu’on le prenne pour l’Âme du Monde, qu’il ne distingue guère, d’ailleurs, du Monde des idées.

« L’Âme du Monde, dit-il[1], n’a pas d’existence, si ce n’est lorsqu’elle est accompagnée de la puissance (possibilitas) qui la contracte. Il n’y a pas d’intelligence qui soit séparée des choses ou qui en soit séparable. Si nous considérons l’intelligence en tant que séparée de la puissance, elle n’est autre que l’intelligence divine, qui, seule, est entièrement en acte…

» Il n’y a donc pas un milieu entre l’absolu et le concret, comme l’ont pensé ceux qui ont mis l’Âme du Monde après Dieu et avant la contraction du Monde. Seul, Dieu est l’âme et l’intelligence du Monde. »

Assurés, maintenant, que l’Univers de Nicolas de Cues n’est ni le Monde des idées ni l’Âme du Monde, revenons à cette proposition[2] : Tout objet créé est dans l’Univers et l’Univers est dans chaque objet créé ; déroulons-en les conséquences.

L’Univers, qui est le maximum contracté, est en Dieu, qui est le maximum absolu et la synthèse de toutes choses ; et Dieu est dans l’Univers qui le développe, car l’essence contractée de l’Univers émane de l’essence absolue de Dieu. Comme Dieu est dans l’Univers et l’Univers dans chaque être particulier, Dieu est en chaque être particulier. C’est par l’intermédiaire de l’unité contractée de l’Univers que l’unité absolue de Dieu est dans chacune des choses créées et que la pluralité des choses créées réside au sein de l’unité de Dieu.

On peut aller encore plus loin. Puisque Dieu est en toutes choses par l’intermédiaire de l’Univers ; puisque, par l’intermédiaire de l’Univers, toutes choses sont en Dieu, on peut répéter[3] les paroles d’Anaxagore, en leur prêtant un sens profond qu’il ne leur donnait peut-être pas : Tout est dans tout. Quodlibet in quolibet.

  1. Nicolas de Cues, loc. cit.
  2. Nicolas de Cusa De docta ignorantia, lib. II, cap. IV ; éd. cit., t. I, pp. 27-28.
  3. Nicolas de Cusa Op. laud., lib. II, cap. V ; éd. cit., t. I, p. 28.