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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/297

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

la matière, c’est, au gré de plusieurs philosophes, une sorte d’esprit qui est, pour ainsi dire, l’intermédiaire entre la forme et la matière… Cet esprit d’union procède, ont-ils dit, de l’une et de l’autre, de la possibilité et de l’Âme du Monde…

» Cet esprit qui se trouve répandu et contracté dans tout l’Univers et dans chacune de ses parties, on l’appelle Nature. La Nature, c’est donc, pour ainsi dire, la synthèse de tout ce qui se fait par le mouvement. »

De même que la possibilité contractée de l’Univers descend de la puissance absolue de Dieu, puissance qui est le Père ; de même que la forme contractée du Monde descend de l’acte absolu, c’est-à-dire du Fils ou du Verbe de Dieu ; de même, cet esprit de connexion qui unit l’Âme du Monde à la matière universelle descend du Saint-Esprit ; quant au mouvement engendré par cet esprit de connexion, il descend du mouvement absolu, qui est identique au repos absolu.

Ce mouvement d’amoureuse union a un double effet.

Tout d’abord, c’est par lui que la puissance de chaque chose est en acte, et par lui que l’acte de cette chose en détermine la puissance ; c’est donc par lui que chaque chose subsiste dans son unité, distincte de toutes les autres choses, et dans un état aussi parfait que le comporte sa nature.

En second lieu, c’est par lui que chacune des choses créées participe, immédiatement ou médiatement, de toutes les autres, de telle façon que l’ensemble de toutes les créatures constitue un Monde dont toutes les parties sont solidaires les unes des autres, un Univers aussi un que possible.

L’esprit contracté d’où provient ce double mouvement d’union est l’émanation du Saint-Esprit qui, par son intermédiaire, meut toutes choses.

La théorie que nous venons de résumer porte, d’une manière évidente, la marque de Denys ; on ne saurait s’en étonner, car le faux Âréopagite est un des auteurs préférés de Nicolas de Cues. Mais la doctrine du mouvement amoureux, émané de l’Esprit-Saint, que Denys avait développée se trouve ici toute imprégnée d’idées aristotéliciennes sur la puissance, sur l’acte, sur le mouvement ; et ces idées n’avaient point cours dans la raison du philosophe chrétien. Il en résulte que le langage de l’Évêque de Brixen se trouve offrir la plus saisissante analogie avec celui que tenait la Théologie d’Aristote. À quoi faut-il attribuer cette analogie ? Devons-nous penser que, sans connaître la Théologie, Chrypfs s’est proposé d’accomplir une œuvre toute semblable