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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/298

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NICOLAS DE CUES

à celle que l’auteur de ce livre avait exécutée, qu’il a tenté de combiner le néo-platonisme chrétien de Denys avec les principes de la Physique péripatéticienne, qu’il a produit ainsi un système semblable jusque dans la forme avec celui du faux Aristote ? N’est-il pas plus vraisemblable de penser que la Théologie, dont Saint Thomas avait déjà connaissance, encore qu’elle ne fut pas traduite, est venue entre ses mains et qu’il s’en est inspiré ? Sans doute, Nicolas ne cite jamais ce livre ; mais il ne cite pas davantage le Libellus de opere sex dierum de Thierry de Chartres ; et qu’il ait lu ce dernier traité, qu’il en ait fait son profit, nous n’en pouvons douter.


N. L’influence de Jean Scot Érigène sur Nicolas de Cues.


La lecture de ce que la Docte ignorance enseigne au sujet de la trinité contractée de l’Univers n’évoque pas seulement le souvenir de Denys et de la Théologie d’Aristote ; elle rappelle également à la mémoire maint passage du Περὶ φύσεως μερισμοῦ. Comme Nicolas de Cues, Jean Scot Érigène s’était attaché à retrouver, dans l’Univers créé, l’image de la Trinité divine ; comme lui, pour découvrir cette image, il avait usé du principe fondamental de la Physique péripatéticienne. Dans le Monde contracté, le Cardinal allemand voit la trinité de la possibilas, de Vactus et du nexus qui conjoint la puissance et l’acte ; partout, à l’imitation de Denys, le fils de l’Érin[1] découvre l’οὐσία, la δύναμις et l’ἐνέργεια, et il reconnaît que ces trois éléments font une seule chose.

Bientôt, cependant, une différence se remarque qui pourrait faire révoquer en doute la supposition d’une influence exercée par Jean Scot sur Nicolas de Cues. Cette différence se rencontre dans la correspondance que ces deux philosophes établissent entre la trinité, définie par la Physique d’Aristote, de l’οὐσία, de la δύναμις et de l’ἐνέργεια et de la trinité du Père, du Fils et de l’Esprit-Saint, mise en Dieu par le dogme chrétien.

Après avoir traduit respectivement les trois mots οὐσία, δύναμις et ἐνέργεια par essentia, virtus et operatio, Jean Scot détermine de la manière suivante[2] la correspondance dont il

  1. Voir : Troisième partie, ch. V.
  2. Joannis Scoti Erigenæ De divisione Naturæ, lib. II, cap. XXIII [Joannis Scoti Erigenæ Opera quæ supersunt omnia, Accurante J. P. Migne (Patrologiæ Latinæ, t. CXXII), col. 568].