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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/301

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

quatre corps dont nous venons de parler ne sont donc plus des éléments premiers, mais des mixtes principaux ou généraux.

La composition de ces quatre mixtes principaux n’a pas été livrée au hasard ; l’harmonie en a été fixée par une Mathématique savante que Nicolas de Cues appelle la Musique divine[1]. Dans le mixte que nous nommons terre, il n’y a pas plus de terre vraiment élémentaire « que d’eau dans l’eau, que d’air dans l’air, que de feu dans le feu. Aussi aucun de ces mixtes généraux ne se peut-il entièrement résoudre en un autre mixte général ; et il résulte de là que la machine du Monde ne peut périr. Sans doute un de ces mixtes peut se résoudre partiellement en un autre mixte ; jamais cependant l’ensemble du mixte appelé air, qui est mélangé d’eau, ne pourrait se convertir totalement en eau ; il en serait empêché par l’air [vraiment élémentaire] dont, en lui, l’eau se trouve entourée. »

Les mixtes généraux, fournis par le mélange des éléments principaux, peuvent[2], à leur tour, se combiner entre eux pour former des mixtes spéciaux qui sont les corps individuels.

Le mixte spécial est le dernier degré de cette contraction qui est issue de l’élément universel et qui, par l’intermédiaire des éléments principaux et des mixtes généraux, s’est élevée jusqu’à l’individu. L’universalité élémentaire monte jusqu’à l’individu, en qui elle reçoit l’existence actuelle, et l’individu descend vers l’élément universel sans lequel il ne pourrait subsister, non plus que l’acte sans la puissance. « L’individu est ainsi la fin à laquelle aboutit le flux des éléments, en même temps qu’il est le commencement de leur reflux ; l’élément le plus général, au contraire, est le commencement de leur flux et la fin de leur reflux. La vertu de spécialisation extrême contracte la généralité des éléments et les fait descendre au-dessous de leur propre région ; puis, après les avoir ainsi contractés, elle les fait écouler hors du mixte, afin qu’ils retournent à leur généralité première. De même dit-on que l’Océan est le père universel des fleuves ; par des canaux très généraux, l’Océan vient se contracter en une fontaine très spécialisée ; mais la rivière finit par retourner à l’Océan. Ainsi peut-on comparer l’élément universel à l’Océan et les mixtes les plus spécialisés à la fontaine. »

« Les causes primordiales, avait écrit Jean Scot Érigène [3],

  1. Nicolai de Cusa De docta ignorantia, lib. II, cap. XIV ; éd. cit., t. I, p. 42.
  2. Nicolai de Cusa De conjecturis, lib. II, cap. V ; éd. cit., t. I, p. 98.
  3. Joannis Scoti Erigenæ De divisione Naturæ, lib. III, cap. 26 ; éd. cit., col. 696, — Cf. : Seconde partie, ch. III, § III ; t. III, p. 54.